Des bancs du lycée aux communiqués de Serge Teyssot-Gay et de Denis Barthe, trente ans auront passé. A l’occasion de la sortie d’un Hors série Inrocks Spécial Noir Désir cette semaine, retour sur une histoire écrite dans l’urgence et sous les lumières blanches.
1987 Où veux-tu qu’je r’garde sort en février et Noir Désir s’embarque en tournée française. Deux mois et une cinquantaine de concerts plus tard, 5 000 exemplaires du disque sont vendus. Pour la première fois, Noir Désir joue à Paris, au Théâtre du Splendid, à l’invitation d’Higelin. Lorsqu’ils ne sont pas sur scène avec Noir Désir, Bertrand et Nini évoluent dans l’ombre de quelques autres. “On était roadies sur les concerts à Bordeaux, les grosses machines type Peter Gabriel. On était de simples pousse-caisses, une bonne école pour l’humilité. On a fait ça jusqu’en 1988, simplement pour bouffer.” Pour la première fois, le groupe joue à l’étranger – à Montréal.
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1988 Le contrat avec Barclay est prolongé pour trois albums. “Mais il s’est passé des mois complets sans que rien ne sorte de nos séances de répétition. On jouait cinq heures par jour et les idées qu’on avait ne valaient pas grand-chose. C’était assez désespérant. On avait sans doute peur de passer l’épreuve du premier ‘véritable’ album, on se sentait vides.” Sans le savoir, le groupe possède pourtant son principal atout, Aux sombres héros de l’amer, écrit depuis le début de l’année. Pendant les mois qui suivront, le morceau sera éprouvé en concert. Au point qu’au moment d’enregistrer l’album le groupe songera à s’en priver.
1989 Le Liverpudlien Ian Broudie est pressenti pour produire le premier album de Noir Désir, choix motivé par son travail avec Echo and the Bunnymen. Serge : “Deux semaines avant l’échéance, on ne savait pas encore très bien ce que le disque allait pouvoir donner. Bertrand n’avait pas complètement fini ses textes. Aujourd’hui encore, on fonctionne à l’urgence. On a besoin de délais terrifiants pour pouvoir écrire”. Installés à nouveau à Bruxelles, au studio ICP, Broudie et Noir Désir apprennent à se connaître. Ça ne se fait pas sans quelques heurts.
Nini : “Broudie était extrêmement exigeant. Les prises de batterie – dix jours à raison de douze heures par jour – ont donné lieu à des engueulades monumentales. Et mes pauvres mains ont doublé de volume. »
Après la sortie de Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient), le groupe part en tournée et les ventes de l’album atteignent très vite 50 000 exemplaires. “Et ça, c’était avant le succès en radio d’Aux sombres héros de l’amer. Ensuite, la chanson est montée au Top 50 et tout s’est emballé.”
Le groupe donne quelques concerts agités en URSS, à l’invitation des stars locales Kino.
“Une claque monstrueuse, la révélation que les médias mentaient sur ce pays. C’était à la fois beaucoup plus beau et beaucoup plus moche qu’à la télé. »
De retour à Paris après quelques dates au Canada, Noir Désir s’offre trois Olympia à guichets fermés. Après le show, Barclay fait péter le champagne pour fêter le premier disque d’or du groupe. Conscient de son “devoir” promotionnel, Noir Désir tente bien quelques passages en télévision – chez Dechavanne, entre autres – avant de jeter l’éponge. “On pensait pouvoir imposer nos règles aux médias en faisant du terrorisme télévisuel, mais on a très vite déchanté.” S’ensuit un bras de fer légendaire entre le groupe et sa maison de disques. Même sous la pression, le groupe refuse d’apparaître à deux 20 h 30 hyper-porteurs chez les ménagères de moins de 50 ans.
1990 Crédibilité maximale – celle d’un groupe de rock qui ne se laisse pas marcher sur les pieds – et présence commerciale impressionnante : Noir Désir doit apprendre à vivre avec cette singulière contradiction.
“On s’est sans doute un peu refermés à cette époque, mais c’était une réaction de protection normale, naturelle. On était juste sur nos gardes, par nécessité.”
Pour marquer son appartenance morale au premier des deux mondes, celui de l’activisme underground, le groupe donne une suite sèche et bruitiste à son premier album. Ce sera Du ciment sous les plaines, contrepied radical mis en boîte par le groupe lui-même, avec l’aide de la paire Phil Délire/Olivier Genty, ce dernier assurant régulièrement l’enregistrement des demos de Noir Désir. Serge : “La coproduction n’a pas très bien fonctionné. Je crois que ça tenait en partie aux chansons, dont nous n’étions pas très contents, mais aussi à l’ambiance en studio et à la production. On cherchait notre second souffle. »
La tournée – avec un passage éclair par le Japon – qui suivra la sortie de l’album sera particulièrement chaotique. Au menu : alcool, nicotine, voix cassée, syncopes et folie générale.
“Même l’équipe technique était dépassée par les événements, un vrai bazar. On a vraiment eu l’impression d’aller au bout d’un truc.”
Pour tout simplifier, la tournée s’achève par douze dates à l’Elysée Montmartre, à Paris. Le lendemain du dernier concert, le groupe se réunit chez son manager et passe quelques heures à s’entretuer jovialement. Noir Désir perd ses deux représentants, Didier Estebe (qui a besoin d’un grand bol d’air) et Emmanuel Ory-Weil (au centre de diverses divergences). Dans le groupe, la séparation menace : Bertrand part pour le Mexique pendant que Serge file au grand air – “dans les montagnes, pour me refaire une santé”. Alors que Frédéric Vidalenc prend le large sur son voilier, Nini reste à Bordeaux et commence à jouer avec Blind Folded et Edgar de l’Est. Les rapports avec Barclay sont glaciaux. Sans promo ni single, Du ciment sous les plaines plafonne à 120 000 exemplaires – contre 150 000 pour l’album précédent.
1991 Le groupe ne s’est plus vu depuis six mois lorsque Bertrand, toujours au Mexique, reprend contact avec Nini. “Dans sa lettre, il me disait qu’il se sentait mieux et souhaitait se remettre à bosser. J’ai appelé les autres et tout le monde avait envie de s’y remettre.”
Bertrand : “Avant ce voyage, je me sentais vidé. Je ne savais pas si l’envie de faire du rock allait revenir, je n’étais plus sûr de rien. D’ailleurs, j’ai les mêmes états d’âme après chaque période agitée. »
Le groupe se retrouve dans la région de Bordeaux et se remet à écrire. Serge habite maintenant près de Paris.
[attachment id=298]Hors série Inrocks Spécial Noir Désir: 1980-2010 « Qui savait au début qu’il y aurait une fin », 6,90€.
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