La frangine israélienne de FKA Twigs et PJ Harvey sort « Off the Radar », un album politique et dangereux.
On la compare déjà à M.I.A. ou FKA Twigs. C’est vrai qu’à l’instar de la tarentule britannique, Noga Erez donne dans un r’n’b transgenre propulsé par des beats reptiliens. Mais quand on la questionne sur ses influences, l’Israélienne de 27 ans évoque d’autres totems : d’Abba à Leonard Cohen, des Beatles aux groupes israéliens comme Kaveret. “Les trucs qu’écoutaient mes parents”, confie-t-elle. Des braves gens, donc.
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La chanteuse a grandi à Césarée, bled niché entre Haïfa et Tel-Aviv, “la Bulle”, où elle finira inéluctablement par débarquer à 18 ans. A l’abri du tapage de la scène techno qui fait la réputation de la ville (“Je ne suis pas une party girl”, avoue la jeune femme), Noga tente de s’affirmer en tant que musicienne. Après une rapide embardée jazz, elle rencontre le producteur Ori Rousso, qui devient son prof avant de devenir son mec :
“Je suis allée le voir avec une énorme peur de la technologie et une très piètre estime de moi en tant que musicienne. Je venais de finir un disque que j’ai entièrement jeté à la poubelle. Il m’a donné confiance en moi. Puis notre relation est devenue plus égalitaire.”
Les amoureux développent une méthode d’écriture symbiotique où chaque titre est écrit à quatre mains et deux cervelles. Entre eux, la musique démarre souvent par un hold-up :
“On vole parfois des idées en écoutant d’autres artistes : un son de synthé, une ligne de basse… Ça nous sert de détonateur. Mais quand on a fini l’album, notre maison de disques nous a dit : ‘Soit vous recréez vos sons vous-mêmes, soit vous envoyez des mails aux gens que vous avez samplés pour leur demander des autorisations.’ On a pris deux semaines pour nettoyer l’album et recréer chaque son nous-mêmes.”
Une méthode pas si malhonnête, qui autorise aussi quelques bouffées de folie : “Chaque semaine, on essaie d’avoir une session libre pour improviser en studio. C’est comme ça qu’est né le titre Off the Radar, par exemple.”
Un genre intranquille et irrésistible
Ceux qui résumeraient la jeune fille à son joli minois ou la prendraient pour la créature passive de son boy-friend en seront pour leurs frais :
“Je crée les beats de toutes pièces. Dans le hip-hop, il y a des mecs dont le taf est de créer des librairies entières de beats originaux. Les producteurs n’ont plus qu’à piocher. Mais ça enlève tout le fun !”
Off the Radar est un disque intranquille et inventif, traversé de détonations, de synthés en surtension et de vocal drops abyssaux dressant une zone de guerre sur le dance-floor. A l’image de Dance While You Shoot, premier single irrésistible et malaisant.
Côté écriture, la chanteuse a un goût prononcé pour les slogans violents, le name dropping (les rappeurs Vince Staples et Kendrick Lamar cités sur le martial Quiet One) et les sujets ultrasensibles. Comme sur ce Junior qui clôt l’album et où Erez évoque la dérive autoritaire du gouvernement israélien :
“Ceux que tu aimes ne seront pas toujours capables de te protéger, voilà ce dont parle la chanson. Mais elle parle aussi de ma dépendance envers un gouvernement qui a la charge de ma sécurité mais qui aujourd’hui m’arrache plus qu’il ne me donne.”
Un sujet nitroglycérine, que les musiciens israéliens évitent en général scrupuleusement :
“On m’a souvent répété de ne pas parler de politique. Moi, je pense être une bonne ambassadrice de mon pays, notamment d’une jeunesse qui croit à la paix contrairement au gouvernement israélien. Aujourd’hui, plus aucun politicien en Israël ne parle de paix. Ils ne parlent que de peur et de désespoir.”
Dire la guerre sans tomber dans l’exercice parodique de la protest song, une éthique qui rappelle celle développée par PJ Harvey sur ses derniers disques : “Let England Shake a été une énorme source d’inspiration. Parler de la guerre mais en évitant tout jugement, rendre personnel quelque chose qui au départ ne m’appartient pas… Tout ça, ça vient de PJ Harvey.” Et c’est avec le même aplomb que la musicienne s’empare sur Pity d’un fait divers glauquissime :
“J’ai lu dans les journaux l’histoire d’une fille qui a eu des relations sexuelles avec plusieurs hommes dans un bar. Les gens l’ont filmée avec leurs smartphones et ont partagé les vidéos sur les réseaux sociaux. Finalement, elle a porté plainte pour viol. Soudain, tout le pays s’est pris pour un juge. Et les pires commentaires venaient de féministes pour qui il s’agissait forcément d’un viol car une femme ne peut pas avoir ce genre de comportement ! J’en ai fait une chanson sur ce que c’est que d’être une femme dans un monde d’hommes.”
Une vérité qui, depuis James Brown, n’a, semble-t-il, pas vraiment changé.
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