Tandis que Liam et Noel continuent de s’invectiver de façon pathétique par médias interposés autour d’une reformation d’Oasis, nous avons rencontré le frangin aîné des Gallagher pour évoquer son nouvel album solo, les fans de The Cure et la perspective d’être la voix de celles et ceux qui n’en ont pas.
Fin mars 2023, Paris. Noel Gallagher nous accueille dans sa suite avec un éternuement en guise de bonjour. “J’ai chopé froid, mais à part ça tout va pour le mieux”, nous rencarde-t-il, assis les jambes croisées sur le sofa, lunettes noires sur le pif, la main prête à plonger dans la corbeille de fruits mise à sa disposition. Le show est bien rodé et le Mancunien fidèle à sa réputation de vieil oncle grincheux et pince-sans-rire. Venu en coup de vent dans la capitale, il enchaîne depuis deux heures les interviews à l’occasion de la sortie de Council Skies, son quatrième album sous le sobriquet Noel Gallagher’s High Flying Birds.
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Pendant ce temps, dehors, la France est au bord de l’explosion. Le grand boulevard qui jouxte l’hôtel porte encore les stigmates des mobilisations massives qui ont fait suite au passage en force de la réforme des retraites du gouvernement Borne. Les poubelles s’amoncellent, la faute à une grève des éboueurs qui s’éternise. “Je sais, j’ai vu. C’est la grève. Tout le monde est en grève. C’est la même chose au Royaume-Uni”, commente le musicien.
On le lance sur le sujet. “Les gens n’ont plus les moyens de vivre, c’est aussi simple que ça. Je ne pourrais pas dire pour la France, je ne connais rien à la politique française, mais notre gouvernement à nous n’est pas du genre à prendre soin du peuple. Quand il y a des grèves, le premier à en souffrir, c’est le peuple. Pas le gouvernement. C’est un cercle vicieux et ça me chagrine. Même les gens qui ont un putain de job n’ont peuvent plus boucler les fins de mois, c’est terrible. Les politiques en Angleterre aiment te faire croire que cette situation merdique est une des conséquence du Covid-19. Mais c’est faux. C’est la conséquence du Brexit.”
Retour aux sources
Au diapason de nombreux artistes de sa génération ayant connu le faste des 90s, période durant laquelle le Royaume-Uni jouissait encore d’une aura à faire pâlir de jalousie l’Amérique post-grunge, le père Gallagher semble à la fois navré et résigné par la tournure que prennent les choses. Il évoque une atmosphère générale plombée, la guerre en Ukraine, le manque de perspectives pour les jeunes générations, l’impossibilité de faire des plans et de “se projeter au-delà de cinq semaines en avant”, même s’il reconnaît faire partie de ceux qui demeurent plus à l’abri que les autres des coups de Trafalgar de l’époque : “Les choses changent depuis toujours, c’est une évidence. Mais il y a des périodes au cours desquelles tu as l’impression que les changements se font pour le pire. C’est le cas aujourd’hui.”
“Même les gens qui ont un putain de job n’ont peuvent plus boucler les fins de mois, c’est terrible. Les politiques en Angleterre aiment te faire croire que cette situation merdique est une des conséquence du Covid-19. Mais c’est faux. C’est la conséquence du Brexit.”
Depuis que sa guitare fétiche a volé à travers une loge d’artiste un 28 août 2009 à Rock en Seine, Nono fait donc cavalier seul. Il jouit ainsi des royalties des compositions d’Oasis jouées par son frère-ennemi Liam dans des stades (“Je suis content de savoir qu’après un de ses concerts, un gros chèque va tomber à un moment sur mon compte en banque”, nous confiait Noel il y a deux ans) et distille des disques, à intervalles réguliers, en toute indépendance : “Il m’arrive de me dire que je ne me suis pas fait un cadeau, que je devrais peut-être m’engager avec une major du disque, mais en étant indépendant, j’ai la paix de l’esprit. J’ai n’ai pas de directeur artistique sur le dos pour me dire d’écrire un truc qui ressemble à Wonderwall, je sors mes disques quand je veux, je travaille avec qui je veux, je n’ai personne pour me dire ce que je dois faire. Je vais te donner un exemple : si j’avais été sur une foutue major et que j’avais évoqué l’idée de faire un disque avec David Holmes, ont m’aurait signifié que non.”
David Holmes, c’est ce DJ et producteur avec qui Noel a mis en boîte Who Built the Moon (2017) et les EP qui ont suivis, en totale rupture stylistique avec les précédentes livraisons du Mancunien, avec des éléments plus électroniques, des trucs plus “disco”, qui ont perdu certain·es en route et ravivé la flamme Madchester pour d’autres : “Ces disques ont tous été écrits en studio, de manière spontanée, sur le moment. C’est pour cela qu’ils ne sonnaient pas exactement comme des chansons traditionnelles de Noel Gallagher. Ils ont été écrits autrement”, précise-t-il.
Tandis que pour Council Skies, Nono signe un retour aux sources mélodiques du songwriter, salué par la critique et la frange la plus nostalgique des chansons qui ont fait Oasis et les premiers solos du Mancunien : “Je pense qu’un morceau comme Easy Now devrait plaire aux fans. Peut-être aussi Open the Door, See What You Find. C’est pour ça que c’était bien de sortir Pretty Boy en éclaireur, parce que c’est celui qui contient le plus d’éléments liés à mes disques les plus récents. Les gens se sont dit ‘quoi ? Encore ses délires disco ?’ Et la raison pour laquelle j’ai choisi ce single en premier, c’est parce que je savais que le suivant serait Easy Now”.
The Last Man Standing
Pour un type qui prétend qu’il est difficile de se projeter dans le futur, Noel Gallagher semble plutôt bien organisé. À l’issue de sa tournée avec U2, en 2019, il avait prévu de relâcher la pression et de ne rien faire l’année suivante, en 2020, avant de se remettre à la composition en 2021, d’enregistrer en 2022 dans son nouveau studio flambant neuf (“un énorme complexe, à la pointe, pas un foutu home studio”, précise-t-il), de sortir le disque en 2023 et de partir en tournée : “Tout ne s’est pas passé comme prévu, mais finalement, je suis pile à l’heure. Je ne suis pas du genre à perdre du temps. Avec le Covid-19, au lieu de commencer à écrire en 2021, j’ai commencé un an plus tôt et je peux te dire que j’ai écrit assez de chansons pour remplir au moins trois albums ! On peut dire que cette période a été bénéfique pour moi. Si ce disque sonne plus familier, c’est parce que durant la pandémie, je me suis retrouvé assis avec ma guitare, à composer comme je l’ai toujours fait et il y a plus d’attention portée aux lyrics”.
“Avec le Covid-19, au lieu de commencer à écrire en 2021, j’ai commencé un an plus tôt et je peux te dire que j’ai écrit assez de chansons pour remplir au moins trois albums !”
L’écriture de Noel a toujours semblé être pilotée par une sorte de générateur agençant des vers piochés dans la musique pop, des Beatles au Happy Mondays. Ce n’est pas un défaut, c’est une marque de fabrique, qui a le mérite de rassembler quand il flotte dehors ou quand il fait soleil, quand Manchester City perd ou quand Manchester City remporte la Ligue des Champions. L’autre jour à l’U Arena, Bruce Springsteen a introduit Last Man Standing (extrait de l’album Letter to You, sorti en 2020) avec un petit laïus expliquant qu’en 2018, son vieux pote George Theiss, leader du premier groupe de Springsteen The Castiles, venait de passer l’arme à gauche, faisant ainsi du Boss le dernier membre encore vivant de cette formation adolescente. D’où le titre, Last Man Standing, en hommage à Theiss, sans qui Bruce n’aurait jamais été Springsteen.
Un ami présent ce soir-là, dans cette salle remplie de parents venus avec leurs enfants, adolescent·es ou jeunes adultes, évoquait la possibilité que Noel remplisse un peu la même fonction de working class hero que le Boss dans la culture britannique, le “last man standing”. Comprendre, une icône capable de faire oublier le temps d’un show ou d’un disque tous les antagonismes d’une société fracturée. Drôle de coïncidence, Noel glisse un “I’ll be the last man standing” sur Council Skies (le morceau Love Is A Rich Man).
On lui demande si faire des disques qui rassemblent reste pour lui une motivation. Noel : “Je constate que pouvoir écrire sur les changements qui affectent ta vie au quotidien est un privilège. Certains n’ont pas cette échappatoire, ils doivent juste faire avec. Si tu as la possibilité de mettre des mots là-dessus qui parlent aux gens et d’en faire un album, alors c’est important de la faire. Parce que tu écris pour ceux qui ne peuvent pas écrire. Je n’ai pas sorti d’album depuis six ans, même si je n’ai pas l’impression que ça fait aussi longtemps. Quand l’album arrive enfin, tu as envie de donner aux gens de quoi tenir jusqu’au prochain”.
The Smiths, The Cure et Oasis réunis
Council Skies devrait donner donner du grain à moudre pendant un moment aux fans. D’autant que Noel est parti en tournée US avec The Cure et qu’il devrait embrayer avec une tournée solo à la rentrée, avec un passage par Paris le 11 novembre à La Villette. The Cure, dont le leader Robert Smith a d’ailleurs remixé Pretty Boy, sur lequel on compte également Johnny Marr à la guitare. Nono se souvient : “J’écris la chanson, je vais en studio, j’enregistre la basse, la guitare et là je me rends compte tout de suite qu’il manque un truc. Je ne sais pas quoi, mais je sais qu’il faut quelque chose. On essaye plusieurs trucs en studio et au bout d’un moment, j’arrête tout et je dis : ‘Appelez-moi Johnny Marr’. Et voilà. Un simple coup de fil. Il a fini par jouer sur quatre morceaux, dont un qu’on n’a finalement pas gardé. Tu sais, un jour, alors qu’on enregistrer une chanson d’Oasis, le producteur m’a demander de jouer une partie ‘à-la-Johnny-Marr’. Et j’ai répondu que non. Mais que par contre, je pouvais demander directement à Johnny Marr de faire du Johnny Marr !”
“Je n’ai pas sorti d’album depuis six ans, même si je n’ai pas l’impression que ça fait aussi longtemps. Quand l’album arrive enfin, tu as envie de donner aux gens de quoi tenir jusqu’au prochain”.
Et concernant The Cure ? “Je n’avais jamais rencontré Robert Smith. Si, à l’époque d’Oasis, tu m’avais demandé s’il pouvait s’intéresser à notre musique, je t’aurais répondu que pas la moins du monde ! Il s’avère que Robert est un mec tout à fait charmant. Je lui envoie le morceau, et il adore. Il me fait un remix super. Et là je réalise que j’ai The Smiths, The Cure et Oasis sur un seul morceau. C’est impressionnant. Je n’ai pas l’air, mais je suis un fan de The Cure. La plupart des fans du groupe ont des ongles noirs, une dégaine de gothique, mais moi, ce que j’ai toujours aimé, c’est le songwriting. Il y a des chansons incroyables. C’est l’un des groupes les plus originaux de notre temps. Il n’y en a pas tant que ça : The Cure, complètement original ; The Smiths, complètement original ; Joy Division, complètement original ; Happy Mondays, complètement original. Après tout ces groupes, il y a des groupes fantastiques, mais à travers lesquels tu vois d’abord les influences.”
“Je ne crois pas au featuring. C’est un truc de fainéant, inventé par les maisons de disques. Il prennent un gros nom, qu’il accolent à un aspirant futur gros nom et les font travailler ensemble. C’est cynique. Ed Sheeran, en featuring avec Pharrell Williams ? Vraiment ?”
L’heure de la fin de l’interview n’a pas encore sonné, mais le manager volubile de Noel nous presse d’en finir. Deux dernières questions et basta. La première, que pense-t-il de l’idée de faire un album de collaborations : “Je ne crois pas au featuring. C’est un truc de fainéant, inventé par les maisons de disques. Il prennent un gros nom, qu’il accolent à un aspirant futur gros nom et les font travailler ensemble. C’est cynique. Ed Sheeran, en featuring avec Pharrell Williams ? Vraiment ?” Et que penser de l’idée de vendre la partie du catalogue d’Oasis dont il détient les droits, comme le font tous les gros noms du rock ces dernières années : “Non, non, je ne veux pas filer mon argent au taxman en Angleterre, il faudrait donc que j’aille vivre en Suisse après ça. Et je n’ai aucune foutre envie d’aller vivre en Suisse. C’est chiant à mourir là-bas.”
Album : Council Skies (Sour Mash Records)
En concert le 11 novembre 2023 au Zénith de Paris – La Villette (Paris XIXe).
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