Révélation surprise de Woodstock, RICHIE HAVENS poursuit depuis quarante ans un chemin plutôt singulier entre folk et soul.
Ceux qui ont vu le film Woodstock se souviennent certainement de ce grand barbu en toge africaine qui apparaît au début du film. En ouverture du plus grand festival de l’histoire, Richie Havens chantait Freedom avec l’exultation de l’esclave nubien venant de briser ses chaînes. Comme libéré également de la contrainte technique, l’homme s’accompagnait d’une manière plutôt déconcertante à la guitare, le pouce glissant sur le manche sans marquer les accords, et ce, face à une marée humaine venue voir le voltigeur Jimi Hendrix. “Jusqu’alors je passais surtout dans les clubs comme le Cafe Wha? à Greenwich Village. Et soudain, me voilà propulsé devant un demi-million de personnes ! Mon sentiment sur cet événement ? Woodstock fut à la fois l’alpha et l’oméga d’un vaste mouvement culturel. Foncièrement, je pense que c’est aujourd’hui que l’on va être remboursé de tout ce que l’on a investi pendant ces années-là. Les rêves qui ont été ébauchés dans les années 1960 vont se réaliser maintenant, sinon jamais, mais de toute façon nous sommes à la veille de changements décisifs !”
Quarante ans ont passé et Richie Havens poursuit, beaucoup plus discrètement certes mais sans dérouter, son chemin sur les terres aujourd’hui repeuplées d’un folk prophétique où s’exercent Devendra Banhart et quelques héritiers à longs cheveux et caftans. A 67 ans, l’homme porte beau. Il s’offre à la curiosité des journalistes habillé comme un duc freaky, sorti d’un film de John Carpenter, la barbe blanchie par la sagesse, les doigts et la poitrine parés de turquoise, noble, charismatique, amical, défendant un nouvel album dont toutes les chansons sans exception évaluent la liberté à l’aune d’une époque troublée, comme un bien en péril, et une responsabilité échue à tous, en ces temps de délitement démocratique, de mensonge d’Etat et de guerre illégitime.
Son titre, Nobody Left to Crown, lui est venu voici quatre ans alors qu’il était en tournée aux Etats-Unis. Il dit tout du désenchantement comme de la chance, intacte malgré tout, de reprendre son destin en main. “Plus personne à couronner”, écho d’une époque sans roi ni transcendance, donne au vieux barde l’occasion d’épancher sur une douzaine de chansons la saveur d’un miel de mélancolie qui tout à la fois stimule, console et adoucit.
Comme au temps de son premier album, Mixed Bag (1967), les chansons originales côtoient les reprises avisées, toutes accompagnées d’un band à l’acoustique minimale éclairée par le violoncelle de Stephanie Winters. Toutes sont cohérentes avec la situation politique actuelle aux Etats-Unis. Ainsi le Won’t Get Fooled Again des Who redevient-il une formidable protest-song où la foi se confronte à la lucidité dans une conscience en tourment. “Voilà bientôt vingt ans que je veux enregistrer cette chanson, comme The Great Mandala de Peter Yarrow (Peter, Paul & Mary) du reste. Pendant tout ce temps, j’ai attendu de trouver un mode personnel pour le faire parce que c’est ainsi que j’ai toujours procédé. Je n’ai jamais envisagé la moindre reprise sans y avoir senti au préalable ma propre voix.”
La carrière de Richie Havens reflète en effet une âme qui a sans cesse soigné son jardin personnel en butinant celui d’autrui. Outre ses nombreuses reprises de Bob Dylan et des Beatles (son plus gros succès demeure sa version de Here Comes the Sun en 1971), il a pu reprendre tour à tour Marvin Gaye, Gary Wright, Pink Floyd ou les Bee Gees, sans qu’on puisse lui reprocher la moindre faute de goût. Dans les allées d’une désolation très contemporaine, ce nouvel album nous fait ainsi redécouvrir le vibrant plaidoyer Lives in the Balance qu’un autre rescapé du rêve sixties, Jackson Browne, a écrit à l’époque de la première guerre du Golfe et, plus inattendu, le Hurricane Waters de Citizen Cope. Chansons qui, selon lui, tentent de racheter au diable ce que les politiques lui ont cédé. “Je suis simplement un Américain conscient que mon pays a piétiné les valeurs universelles dont il se réclame au risque de nous faire perdre notre âme.”
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