Rééditions de quatre albums de Tony Allen, batteur de Féla Kuti et grand timonier d’un afro-beat voluptueux et ravageur. Il y a un an, Tony Allen enregistrait avec le producteur franco-irlandais Doctor .L Black voices, un disque qui, sans y paraître, est devenu une borne d’écoute marquant l’entrée dans un territoire musical vierge car s’inventant […]
Rééditions de quatre albums de Tony Allen, batteur de Féla Kuti et grand timonier d’un afro-beat voluptueux et ravageur.
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Il y a un an, Tony Allen enregistrait avec le producteur franco-irlandais Doctor .L Black voices, un disque qui, sans y paraître, est devenu une borne d’écoute marquant l’entrée dans un territoire musical vierge car s’inventant lui-même. Ce qu’a réussi Liam Farrel alias Doctor .L, adepte d’une autolimitation technologique stimulante pour ce qui est de l’invention sonore, pourrait se formuler ainsi : respatialiser l’afro-beat dont Tony Allen, batteur de Féla Anikulapo Kuti pendant quinze ans, fut le grand métronome, l’architecte rythmique, le régulateur de transe.
Dans cinq ou dix ans, certains parleront de Black voices comme on le fit du Mothership connection de Parliament ou de Super ape de Lee Perry, instants précieux, tendus, délectables et vertigineux où une musique, funk ou reggae, décolle comme le font les fusées de la Nasa, emportant à leur bord quelques poignées de cette terre désormais lointaine et étrangère, témoignages fossiles d’une existence dépassée que l’on effritera avec nostalgie lors de veillées interstellaires. C’est d’ailleurs un peu de terre que l’on s’attend à voir tomber des pochettes des quatre mini-albums réédités par Pias. Entre l’afro-beat tel qu’il est joué à cette période (le milieu des années 70) et celui de Black voices, il y a en effet l’espace, intervalle fécond entre notre monde et l’infinitude cosmique que tous les grands musiciens de l’afro-diaspora (Sun Ra, Jimi Hendrix, George Clinton, Lee Perry, Norman Whitfield) ont un jour souhaité visiter. Si Black voices est un disque de science-fiction africaine, ces quatre volumes pèsent, quant à eux, leur poids de funk hyperréaliste. D’une parfaite loyauté esthétique, idéologique envers Féla, qui avait ouvert le grand chantier pour moderniser la musique africaine, Tony Allen dirige les musiciens d’Africa 70 dans de larges pièces voluptueusement étirées, construites en spiralées de jazz brut où le beat cristallise et soumet à son empire chacune des molécules sonores que la vingtaine d' »ouvriers » tamisent jusqu’à obtenir une fluidité rythmique prodigieusement sensuelle qui vous enveloppe plus qu’elle ne vous bouge.
Si ces albums avaient dû être enregistrés dans un champ peuplé de grillons, le bruissement d’ailes produit par les insectes se serait nécessairement intégré à cette « mécanique » du groove, qui n’est que l’écho dilaté de la pulsion essentielle du monde. Les cuivres partent en bataille, par salves unies ou désordonnées, et annoncent les grands thèmes que chacune de ces nefs tanguantes porte à ses mâts de misère : exploitation, corruption, discrimination, indigence. Ces albums (chacun ne dure pas plus d’une trentaine de minutes et, à choisir, No accomodation for Lagos et Progress sont les plus recommandables) pourront paraître pléonastiques pour qui côtoie la musique de Féla. Mais songez à ce que vous auriez laissé passer si, sous prétexte d’avoir été les sidemen de James Brown, l’œuvre solo de Fred Wesley ou Maceo Parker n’avait récolté que votre dédain ? Quelle bêtise !
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