Voici qu’après le premier tome passionnant d’une trilogie autobiographique (Chroniques) s’annonce avec ce double album, sorte de bande originale étoffée, le documentaire signé Martin Scorsese ? sortant dans les salles prochainement. Ces vingt-huit titres, inédits ou versions rares de chansons connues, reprennent le fil des Bootleg Series, collection d’incunables inaugurée en 1991 et extraits d’une […]
Voici qu’après le premier tome passionnant d’une trilogie autobiographique (Chroniques) s’annonce avec ce double album, sorte de bande originale étoffée, le documentaire signé Martin Scorsese ? sortant dans les salles prochainement. Ces vingt-huit titres, inédits ou versions rares de chansons connues, reprennent le fil des Bootleg Series, collection d’incunables inaugurée en 1991 et extraits d’une manne dont on n’est pas prêt de voir l’extinction (en 1988, un Scandinave plutôt monomaniaque nommé Michael Krogsgaard en recensait l’intégralité dans Master of the Tracks, ouvrage de 800 pages publié à compte d’auteur).
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La période sur laquelle s’est concentré le cinéaste (1960-1966) a incité les concepteurs du présent recueil à égrener leurs semences en partant de la capture sonore la plus lointaine ? ce When I Got Troubles de 1959, jamais entendu auparavant ? pour aboutir à l’apothéose électrique de la tournée anglaise où Dylan, flanqué de The Band, entame ce fameux Like a Rolling Stone ployant sous les grandes orgues, juste après s’être fait traiter de « Judas ! » par un spectateur exalté. De fait, ce que certains amateurs de folk considéraient à l’époque comme une apostasie s’apparente plutôt ? à la lumière du parcours chronologique proposé ? à la phase la plus spectaculaire d’une métamorphose telle que le rock n’en a plus jamais connue, où une chenille paressant dans le jardin d’autrui (celui de Woody Guthrie et des grands bluesmen) se change en dragon, crachant à jet continu le feu profanateur d’une poésie barbare.
Cette sélection possède beaucoup de ressources puisqu’elle permet la découverte d’un certain nombre de pépites remontées des basses galeries d’une discographie labyrinthique ? dont ce Sally Gal, chute « appalachienne » de Freewheelin’ ?, de réentendre les classiques sous un autre angle (suffocante version live de Masters of War), sans rater aucune des étapes importantes de la chrysalide. Comme ce A Hard Rain’s A-Gonna Fall capté au Carnegie Hall en 63, moment-clé où le langage change de nature, devient franchement visionnaire, recouvre l’auditoire d’une lumière de foi qui n’est pourtant reliée à l’existence d’aucun dieu. Ou encore ce Maggie s Farm désormais historique, saisi au Newport Festival en juillet 65, instant électrique à bien des égards puisqu’il s’agit de sa première apparition avec un groupe de rock (le Paul Butterfield Blues Band) et que l’atmosphère y est à ce point hostile que Pete Seeger essaya même de couper les câbles d’alimentation à la hache !
Autant d’étincelles qui annoncent le grand incendie de la période Highway 61/Blonde on Blonde, reflétée ici par de nombreuses prises alternatives. Cette saison en enfer, point lugubre et culminant du romantisme moderne américain, va enfanter ce que Greil Marcus appelle « des espèces de spectacles son et lumière sur fond de colère du juste« . Qui, quarante ans après, vous en mettent encore plein la gueule.
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