Il s’en passe de drôles, sur scène, avec The Dears. Enfin, drôles, façon de parler : leurs chansons ont grandi au Canada où, de Neil Young à Leonard Cohen en passant par Godspeed! You Black Emperor, la mélancolie attaque le rock au gourdin. Il s’en passe de drôles, donc : un bassiste joue dub, un […]
Il s’en passe de drôles, sur scène, avec The Dears. Enfin, drôles, façon de parler : leurs chansons ont grandi au Canada où, de Neil Young à Leonard Cohen en passant par Godspeed! You Black Emperor, la mélancolie attaque le rock au gourdin. Il s’en passe de drôles, donc : un bassiste joue dub, un clavier joue atmosphérique, l’autre new-wave, un guitariste joue psychédélique nerveux, un batteur joue en roulements caverneux, un chanteur joue du mélodica et du chant sépulcral. Et ça, sur le même morceau !
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Les Dears commencent ainsi leur concert par un de ces morceaux tragiques que la plupart des groupes n’oseraient même pas faire en ultime rappel. Une chanson tellement triste qu’ils hésiteraient à la jouer à la messe d’enterrement de leur roadie favori, de peur de faire chialer les statues de marbre. Mais c’était pour rire : la chanson d’après, les Dears jouent guilleret et sautillant, tels des Smiths au dégel. Il s’en passe vraiment de drôles : le groupe est canadien, ses influences à l’évidence anglaises (comme beaucoup d’autres formations locales ? Broken Social Scene, The Hidden Cameras ou les plus méconnus Stars) et sa formation mixte et multilingue. Et on ne parle pas ici du français et de l’anglais : non, multilingue car capable de parler sans accent des langages aussi éparpillés que la cold-wave et la pop, le punk et le free-rock.
Hendrix chez les Smiths, Augustus Pablo chez Pulp, Love chez Damon Albarn, voilà ce qu’on entend dans les remarquables Don’t Loose the Faith et The Death of All the Romance. « N’ayez pas peur de nous« , tentait récemment de rassurer, lors d’un concert anglais, le très impressionnant chanteur Murray Lightburn, face à une jeunesse médusée, incapable de dire où le tourbillon emporterait la prochaine chanson. C’est d’ailleurs quand ces tensions retombent entre les musiciens, sur des chansons à la pop plus orthodoxe, que les Dears se révèlent les moins intéressants, mesurant leur démesure à l’aune de calibres trop étroits pour eux. Mais ces moments de raison pure sont rares.
Car ces chansons, magnifiquement éduquées mais indociles, refusent de laisser ronronner la po pop à sa mémère : les harmonies vocales se font faucher par des guitares tremblantes, les chorales raffinées se font abattre par des violons préoccupants. Partout ailleurs, ce chant voltigeur, dramatique aurait réclamé des arpèges chichiteux, des atmosphères en dentelles : il est ici reçu avec des électrochocs, notamment grâce à un petit guitariste possédé et lumineux ? un pur fantasme pour les Strokes. Il joue d’ailleurs la plupart du temps ses envolées savantes les yeux fermés : preuve ultime que, chez lui, la musique est un cri qui vient de l’intérieur, qu’il observe, impuissant et hébété, le traverser en spasmes.
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