Fin de la série de concerts-découvertes du NME Tour à Brighton. Derrière les héros Late Of The Pier, de plus en plus sidérants, l’Angleterre reprenait la main hier soir, avec les très étonnants Micachu et Connan Mockasin. JD Beauvallet y était pour nous.
Mardi soir, l’Amérique avait fait fort, en envoyant Passion Pit, Hockey et Bear Hands convaincre le public de Brighton que l’avenir du rock et de la pop se jouait entre Boston, Brooklyn et Portland.
Mais l’Angleterre ripostait au Concorde 2 mercredi soir, avec trois groupes aux idées longues. Avec sa voix totalement asexuée – normal : le jeune anglais a une tête d’ange –, Connan Mockasin évoque d’entrée le bâtard monstrueux qu’auraient pu enfanter Jeff Buckley et Daniel Johnston. On ne remarque que lui, on ignore même si son groupe est sur scène ou sur bandes récalcitrantes : on entend bien une basse et une batterie, mais on ne voit rien, jouent-ils couchés ? Le trio joue très libre, chacun prend ses aises, son rythme, son espace vital, ne retrouvant parfois les autres que sur d’imprévisibles accélérations, étranges moments de tension où cette voix d’enfant brisé évoque un Slint de bac à sable – avec beaucoup de grains de sables dans les rouages. Musicien étonnant, disciple convaincant de Syd Barrett, Connan le barbare sait faire pleurer une guitare électrique ou pogoter un genre de petite harpe électrique. Ce psychédélisme donne un peu l’impression, au fur et à mesure que les chansons partent en vrilles, qu’une ruche s’est ouverte sur la scène d’une kermesse à l’asile du village global. Mais la joie avec laquelle Mockasin casse ses jouets, hurle ses refrains et massacre ses mélodies est suffisamment communicative pour que l’ennui, ou la consternation, ne s’instaure jamais entre lui et le public.
Les choses ne s’arrangent qu’à peine avec les impayables Micachu & The Shapes, groupe vedette de cette génération underage qui, il y a deux ans à peine, jouait encore avec ses cartes Picachu et Pokémon en général. Le trio joue parfois si vite et bizarre qu’il en oublie en route la moitié des mots ou des refrains. Mais leurs chansons, pourtant jouées à toute berzingue, en zigzags, en lignes brisées, constamment perturbées de breaks, restent étonnamment guillerettes et presque mélodiques. La faute à des harmonies vocales qui, en plein milieu de ce chambard (dix chansons et parfois autant de styles à l’intérieur d’un même titre de deux minutes), imposent une sensibilité pop à des déflagrations qui, sans queue ni tête, possèdent d’impressionnants nerfs et des zygomatiques surdéveloppés. On pense, effrayé, aux enfants cachés de Beck et Frank Zappa, qui auraient confondu les Haribo et les acides. Même s’il sont pour l’instant plus connus pour leurs remixes (Metronomy ou We Have Band), on reparlera très vite de ces farfelu(e)s aux concerts aussi éreintants que jouissifs, dont les chansons stridentes évoquent la sonnerie d’un téléphone japonais à inventer – c’est peut-être ça, un Micachu !
Chantier permanent et à ciel ouvert depuis son apparition sur le circuit live, Late Of The Pier a encore énormément évolué depuis son apparition au dernier festival des Inrocks. Incapable de se stabiliser sur une routine, un savoir faire, le groupe est comme une bicyclette : il tombe s’il n’avance pas. Son public, fervent en Angleterre, accepte avec délectation cette mutation permanente : il n’y a aucune différence d’attitude, de dégaine ou même d’âge entre les musiciens et leurs fans, la relation est passionnelle, fusionnelle. Ainsi, même des versions totalement défigurées de Space & The Woods ou Focker provoquent l’extase d’un public qui anticipe la moindre phrase, le moindre break, le moindre pont, accueilli par une forêt de bras brandis. Le chant de Sam Dust, autrefois douloureux, a trouvé dans cette agitation une sérénité nouvelle, étonnant de calme et d’aplomb quand, tout autour, les éléments se déchaînent. Car le son a pris une ampleur et une puissance renversantes, qui fait de ces concerts une expérience particulièrement physique. Miraculeusement, le groupe réussit désormais à transformer des tuyaux cabossés, tordus, souillés en tubes rutilants. Parfois, quand Late Of The Pier, un rien geeky, se prend un peu trop au sérieux et commence à se regarder jouer, il donne une idée assez sidérante et effrayante de ce qu’aurait pu donner le prog-rock, voir le jazz-rock, si la new-wave et les synthés fluos étaient nés plus tôt. C’est assez moche et suffisamment cinglé (Bathroom Gurgle) pour rester fascinant. Mais il suffit de la rencontre entre ce public, avec ses rituels et son enthousiasme, et une chanson aussi excitante que Heartbeat pour balayer ces réserves – et se rappeler qu’on a de la chance d’être, en Angleterre, contemporain de ce groupe.