La folle série de concerts-découvertes continue à Brighton. Hier soir : Bear Hands, Passion Pit et Hockey, gros espoirs de la scène américaine. JD Beauvallet était sur le coup.
Lundi soir, c’était quelques fleurons de la nouvelle scène anglaise qui débarquaient à Brighton, en rangs serrés, pour prouver la vitalité et la diversité de la famille indie : Florence & The Machine, White Lies, Friendly Fires et Glasvegas laissent leur place, mardi soir, à une élite tous azimuts d’espoirs américains. Loin du prestigieux Dome, c’est dans la cave peu ragoûtante mais vibrante du Audio que se pressent, sur la minuscule scène, un (d)étonnant mélange de guitares et de claviers vintages.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Fraîchement débarqué de Brooklyn et très différent sur scène que sur disque, Bear Hands ouvre les festivités. Le groupe, modeste, affirme faire “ce qu’il peut” avec ses outils éculés et ses influences disparates. Soit beaucoup de bruit, énervé et heurté, dans une tradition locale étalée de Sonic Youth à Rapture. Avec un ou deux batteurs, un chanteur à chignon et voix crispée plus une électricité stridente, ils ne sont pas vraiment le groupe idéal pour chauffer un public – pour le refroidir, plutôt, malgré ses basses funkys. Mais les guitares acides, le chant tout en affolement et les rythmiques épileptiques donnent une telle impression de libération, de puissance que la victoire ne passe pas par la séduction, mais par la force. Ce groupe, sur scène, ne possède aucune joliesse, aucune envie de racoler : le mot “pop-song” n’appartient visiblement pas à son vocabulaire, mais il impressionne plus qu’il ne charme, visant résolument plus les nerfs que les cœurs sensibles.
Dans l’après-midi, Mike Angelakos, le chanteur et âme de Passion Pit, se plaignait amèrement du train d’enfer dans lequel on a enfermé son groupe depuis sa signature avec une major. Arrivé en Angleterre la veille et privé de sommeil depuis, il rageait de na pas avoir eu le temps de sérieusement réfléchir à la mise en scène de ses chansons, à leur adaptation minutieuse au live. Effectivement, comme pour MGMT au début, le groupe se retrouve en concert face à un casse-tête : comment apporter la fermeté nécessaire à ces chansons éthérées, comment leur donner plus de corps sans en briser la fragilité, la subtilité ? Passion Pit semble mieux armé : déjà parce que les cinq membres sont de fantastiques et érudits musiciens, ensuite parce que Michael Angelakos se pose vraiment beaucoup (trop ?) de questions. Et qu’il ne tolèrera pas le statu quo, la banalité, l’entre-deux.
Sur les titres où la magie opère, on se demande même à quelle altitude il portera ses chansons quand il aura réussi à les convertir parfaitement à cet exercice traître de la tournée. Véritable Brian Wilson de l’électronica rêveuse, il parle avec une telle conviction du futur qu’on attend déjà avec fébrilité les prochaines tournées du groupe – il évoque Björk, Radiohead ou Scott Walker comme des modèles à égaler. Songwriter depuis l’enfance, dépressif depuis les premiers amours, romantique depuis toujours et trafiquant sonique depuis que son père lui a acheté un magnétophone à cassette et un album des Beatles, il est l’un des songwriters les plus impressionnants qu’on ait rencontré depuis des lustres. L’un des plus vicieux aussi, fourgant ses sombres histoires de mal-être, de mort et de suicide dans des écrins colorés et innocents. On donnerait à ses chansons le bon Dieu sans confession : à l’intérieur, c’est pourtant l’enfer sur terre.
C’est la première date de leur tournée européenne et effectivement, ses chansons hésitent parfois entre l’onirique et le dynamique, le fragile et l’efficace. Mais quand il maîtrise ces équilibres compliqués entre machine à danser et machine à rêver, notamment sur I’ve Got Your Number ou l’infatigable Sleepyhead, Passion Pit confirme sur scène les immenses espoirs que l’on place en ce groupe depuis des mois. Pris par leur propre fièvre sur ces moments de grâce, le groupe, cinq geeks résolument charmants, se mettent à gigoter à l’unisson – et c’est mignon comme tout. Ce que Michael nous affirmait, sincère mais gêné de telle outrecuidance, un peu plus tôt dans la journée – “Je n’ai pas le choix, je vais révolutionner la pop” – trouve là un joli début d’explication.
La moyenne d’âge monte en flèche quand débarquent, sur scène, les gandins de Hockey, venus de Portland et annoncés partout comme les possibles sauveurs de l’industrie du disque américaine ! Les pontes de l’industrie du disque anglaise sont venus en force, en meute, pour rafler dès la première date de leur tournée européenne le contrat d’éditions des quatre chevelus. Visiblement, la même foire d’empoigne avait déjà eu lieu lors de la signature de leur contrat discographique, empoché par EMI et Virgin. Le groupe a tout fait pour, gesticulant comme Mick Jagger, se fringant comme MGMT, posant comme les Killers et offrant déjà quelques tubes certifiés à une Amérique qui aurait trouvé trop chochottes les guitares des Strokes ou des Kooks.
Hockey possède en tout cas déjà un batteur/programmateur à faire danser les morts et surtout Ben Grubin, un chanteur au charisme assez affolant – ce qui fait parfois de Hockey un étonnant hybride des Strokes et de LCD Soundsystem. Quand le groupe met ce sens du groove et de l’emphase au service d’une vraie chanson, il est assez irrésistible. Mais il peut devenir vraiment pénible quand il se lance dans d’interminables jam funk-rock ou quand Grubin se prend pour Rod Stewart. Toutes réserves qui ne pèseront pas lourd : on ne voit franchement pas ce qui pourrait les empêcher de devenir des stars – leur single Too Fake plaide en leur faveur.
{"type":"Banniere-Basse"}