Plutôt qu’en protecteur frileux de ses racines indiennes, Nitin Sawhney se voit volontiers en déracineur. Rencontre avec l’auteur de l’ambitieux Beyond skin, en concert cette semaine en France.
Déroutés par ses origines indiennes et le militantisme identitaire de son quatrième album Beyond skin, les journalistes anglais ont vite classé la douzaine de chansons de Nitin Sawhney dans le registre Asian underground.
Un raccourci bien hâtif qui a le don d’énerver le musicien, ennemi farouche de ce genre de classification administrative et réductrice qui met dans le même sac des tentatives musicales aux antipodes les unes des autres : Fun-da-men-tal, Cornershop, Asian Dub Foundation. « S’il subsiste encore quelques réflexes qui peuvent rappeler cette ségrégation raciale en vigueur dans les années 60 et 70 , ils sont minoritaires, confinés dans des publics que ma musique ne concerne pas ou dans des domaines où les mentalités n’évoluent que lentement. Sur le strict point de vue artistique, utiliser les critères de couleur de peau ou l’appartenance culturelle est une aberration grossière de ce raisonnement imposé par le marketing, et adopté par les médias, qui ne connaît que le classement par genre pour atteindre ses cibles. Prêter trop d’attention à cette mécanique lui donnerait un sens erroné, une importance politique alors qu’elle ne repose sur aucune intelligence, aucun discernement. Ces segmentations vont exploser en mille morceaux sous l’effet de la multiculturalité de la création musicale actuelle. » Depuis qu’il est gamin, Nitin Sawhney attend ce moment, cette explosion des frontières culturelles, cette mixité amicale des sons et des cultures. « J’ai eu une éducation indienne traditionnelle et j’étais dans une école très occidentale où tous les jours, le racisme et la violence me renvoyaient ma honte de fils d’immigrés indiens. Ce n’est qu’à travers la musique que j’ai compris l’importance de réaliser l’unité entre mes origines et le pays dans lequel je vivais. Il fallait aller au-delà des nationalités, oublier les couleurs de peau, ouvrir les grilles. »
Son parcours de musicien, il le mènera en slalomant entre les genres, approfondissant la connaissance de son héritage et se confrontant aux influences culturelles occidentales. Ainsi, Nitin Sawhney étudiera le jeu des tablas avec son coéquipier de jeunesse, Talvin Singh, puis se frottera à l’acid-jazz comme guitariste du James Taylor Quartet avant d’intégrer, pour un album, le groupe de Nusrat Fateh Ali Khan.
Cette soif d’expérimentations le mènera jusqu’à la BBC, où il s’aventura dans une hypothèse expérimentale de fusion indo-brésilienne (le projet Goodness gracious me), et sur les disques de quelques maîtres africains (Oumou Sangaré, Ali Farka Touré) où il fut invité spirituel. Dans ses aventures musicales solitaires, Nitin Sawhney sondera la transversalité des répertoires, organisera les retrouvailles entre les sons et les instruments orientaux sur les nappes électroniques. Un travail de déconstruction des barrières, de réunification spirituelle dont la compilation Introducing Nitin Sawhney résumait les premières étapes en début d’année dernière.
« Mes trois premiers disques sont moins organisés que Beyond skin. Je travaillais sur des structures complexes et sur la diversité. Musicalement, je me sens proche de l’univers de Beck. J’aime cette idée de rétablir une logique musicale, de reconstruire un tout porteur d’un nouveau sens en déracinant des éléments musicaux de leur tradition culturelle. Ce n’est qu’ainsi que l’on redécouvre leurs pouvoirs spirituels et musicaux. »
Déconstructeur de nationalités, Nitin Sawhney travaille les traditions culturelles comme un matériau, rompt systématiquement avec l’idée d’enracinement ou de déracinement et cherche l’illustration parfaite d’une identité nouvelle : « Celle des enfants d’immigrés indiens nés sur un sol anglais, celle de quelqu’un pour qui l’Angleterre paraît très indienne et l’Inde très anglaise. J’ai beaucoup tenu à ce que mes parents prêtent leur voix à mes chansons, pour qu’ils participent à cette problématique propre à la deuxième génération d’immigrés qui n’a jamais eu de vision romantique de l’Occident. »
Véritable appel d’air vers les sphères sensitives, sa musique télescope jazz, hip-hop et expériences électroniques avec la science du chant oriental dans une substance volatile appelant à la transe. Une musique de tolérance, pacificatrice, résultat d’un sacerdoce exercé jusque dans des textes dénonciateurs de la puissance nucléaire. « En possédant la force nucléaire, l’Inde et le Pakistan ont cru qu’ils pourraient se défaire de leurs complexes par rapport à l’Occident. C’est une incroyable erreur. Aujourd’hui, plutôt que de prendre conscience de leurs richesses technologiques, les deux peuples sont fiers de disposer d’une arme qui leur sert pour se menacer l’un l’autre de destruction totale, au nom d’une frontière géographique. Cette idée m’est insupportable. En tant que Britannico-Asiatique bouddhiste, je militerai sans relâche pour l’abolition des raisons de ce désastre : les notions de nationalité et de pouvoir. » Beyond skin (Outcaste Records/Pias).
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