Avec « Miraculé » son premier album, le rappeur Niro de Blois clot une trilogie engagée avec « Paraplégique » puis « Rééducation ». Mais lance surtout une carrière qui risque de faire du bruit. Interview.
Tu as fait beaucoup de promotion pour la sortie de ton album, c’est quelque chose de nouveau pour toi ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ouais, disons que je n’avais pas forcément les armes avant, par rapport à aujourd’hui, maintenant que je suis en maison de disque. Mon premier projet, Rééducation n’était qu’une mixtape. Miraculé, c’est un album lourd et j’ai maintenant assez d’armes pour le porter au plus haut.
Tu avais sorti deux mixtapes avant « Miraculé », c’est ça ?
Paraplégique (son premier projet, ndlr) c’était plus un street album. On avait des moyens très « street » à l’époque. Peu de moyens donc, mais beaucoup de connaissances. Pas mal de gens qui m’ont porté à cette époque. Je les remercie pour ça. Et donc la mixtape Rééducation après ça.
C’est une trilogie assez métaphorique, tu peux nous expliquer ?
Paraplégique c’était pour expliquer qu’on était « condamnés » à ne pas « marcher », à ne pas percer. Je le pensais sincèrement : on me boycottait, les portes des maisons de disque étaient fermées, les médias ne parlaient pas de nous. Puis j’ai signé chez AZ, et j’ai entrepris ma « réeducation ». On a commencé à remarcher petit à petit. Nous sommes sortis de l’ombre. D’où Miraculé, qui est la suite logique de ces deux premiers opus. Aujourd’hui j’ai une maison de disque qui me soutient.
La maison de disque t’a apporté les moyens, mais tu as du fournir des contreparties toi ?
Pas du tout, je suis en licence chez AZ. Moi, je garde mon libre arbitre. AZ a son mot à dire, ils me conseillent, je vais pas renier ça. Quand c’est bon pour le projet, bien sûr que je les écoute mais ils n’ont pas le choix définitif au niveau artistique et musical. Quand j’ai signé, j’avais déjà le vent en poupe, j’avais déjà construit mon image. On m’a signé pour cette image, pas pour la modifier. Je fais ce que je veux.
Tu apparaîs sur la mixtape de Booba Autopsie Vol. 4 (avec le morceau « Fenwick », ndlr), comment tu t’es retrouvé sur ce projet ?
Ça faut le demander à Booba. On est venu me chercher, en me disant que Booba voulait un morceau de moi sur sa mixtape. Je lui en ai envoyé deux. Dont « Fenwick » car je savais qu’il correspondait bien à son univers, à sa manière de bosser la musique. Et ça a marché, le titre m’a propulsé. Ça m’a permis d’élargir mon public. Booba, c’est une industrie à lui tout seul, quand il pose ses yeux sur quelqu’un, forcément il est suivi.
Tu peux nous parler de ton univers, de tes influences ?
Je suis un enfant de la rue, je ne pourrais pas raconter autre chose. La rue, c’est ma fondation, c’est elle qui m’a porté là où je suis maintenant. Je sentais le besoin de rétablir la vérité, de parler de la réalité de la rue. J’ai pu le faire grâce à cet album.
Tu viens de Blois, est-ce que ça n’a pas été encore plus dur pour toi ?
Oui c’est sur. Déjà on ne sait pas forcément qu’il y a des cités là-bas. Je viens de la Zup (zone urbaine prioritaire, ndlr) de Blois, une des plus grandes de France. Je me suis retrouvé à participer à des projets d’artistes les plus ghettos que tu puisses connaître. Connus ou pas. J’ai toujours été ghetto, et donc très crédible. J’ai beaucoup de connection dans le 94 aussi avec la Mafia K’1 Fry, qui est le symbole du rap ghetto en France. Je collabore avec Street Lourd, et derrière eux c’est toujours la Mafia K’1Fry. Forcément j’ai donc cette empreinte ghetto qui me suit. J’ai la volonté d’en parler.
Tu n’as pas peur de rester enfermé dans cette image ghetto du coup ?
C’est un risque ouais et ça, je ne le veux pas. Souvent les gens, les médias, associent « ghetto » à demeurés, casseurs, etc. Je ne veux pas qu’on m’enferme dans cette case-là. Bien sûr je parle de la rue, mais je parle aussi de la vie dans mes morceaux.
Comme « VivaStreet », un morceau que tu as voulu un peu plus grand public ?
Moi je ne trouve pas que ce soit un morceau grand public justement. C’est un morceau relativement hardcore quand tu t’intéresses au texte. Après c’est vrai que c’est ce qui marche aujourd’hui en terme de sonorité. Il sonne très actuel. C’est le mot qui correspond le plus.
A l’inverse d’un titre comme « Enemy » ?
Clairement, c’est un morceau pour les gens qui me connaissent de façon plus intime. Au-delà de la musique même. Ils ne me connaissent pas dans la vie mais ils m’ont suivi depuis mes débuts. Ce morceau va leur parler. Mais tu sais, ce qui est fou dans la musique, c’est que ça frappe n’importe quand, n’importe où et que ça marche. Je rencontre beaucoup de gens avec qui je n’ai rien à voir en apparence, mais on se retrouve à partager les mêmes kiffs. La musique n’a pas de code, ni frontière.
Ce n’est pas un peu le rôle d’un artiste au fond ?
Totalement. La musique a un rôle de divertissement, mais aussi un rôle de transmission de valeurs et de principes. Il faut de tout ça pour faire un bon album. Du message, de l’égo trip. Il en faut pour tout le monde. Il faut savoir de diversifier.
Dans « Enemy » tu rappes « Je suis pas un rappeur, j’encule tes clichés », pourquoi ?
Je reviens sur le fait d’être stigmatisé « mec de rue », « demeuré ». Je ne suis pas un cliché de rappeur, je suis un artiste. Avec tout ce que ça implique. J’ai mes codes derrière qui sont ceux du rap. Mais le rap, on ne sait plus trop ce que ça signifie aujourd’hui. Pour moi un rappeur, n’a plus la même définition qu’avant. Même si je fais du rap, je ne me considère pas comme un rappeur, mais comme un artiste.
Tu présentes plusieurs featuring sur ton album, comme Kaaris sur « La mort ou TchiTchi », ça c’est passé comment ?
On me proposé de collaborer avec Kaaris et l’idée m’a tout de suite plu. Au niveau du business, c’était intéressant. C’était à l’époque de Rééducation. Déjà avant sur « Paraplégique », je bossais avec Thérapy (producteur de nombreux artistes rap comme Booba, Kaaris ou Joke, ndlr). Mais finalement Kaaris ne pouvait pas, un problème d’emploi du temps. Je l’avais plutôt mal pris dans un premier temps. Ils sont revenus me le proposer mais je n’étais plus très chaud pour le faire. Finalement j’ai compris qu’on pouvait être pris par d’autres projets et que ce n’était pas un truc qu’on pouvait reprocher. Kaaris, je ne le connaissais pas, on s’est rencontrés et on s’est vite entendus tous les deux, musicalement et humainement. On a fait le morceau, il est venu poser. Moi je suis allé faire le clip dans sa cité à Sevran. Y’avait pas d’égo mal placé. Il y a une demi-heure encore, on était au téléphone ensemble ! On fera d’autres collaborations, c’est certain.
Tu avais proposé une collaboration avec Booba j’ai lu ?
Ouais je ne m’en cache pas. J’ai essuyé un refus car lui pensait avoir fait son quota de collaboration dans le rap français cette année. Je ne vais pas mal le prendre. On a des vies mouvementées. Après j’espère que ça n’a rien à voir au clash avec Kaaris.
Tu as suivi toutes ces histoires de clash toi ?
Ouais de loin. Je me suis exprimé plusieurs fois là-dessus et je ne souhaite plus le faire. Ca ne fait pas avancer la communauté. Les gens sont assez intelligents, assez adultes pour faire la part des choses. Je trouve ça petit de s’afficher comme ça sur la place publique, la culture en prend un coup. Et ça donne des armes aux médias pour continuer à nous tirer dessus. Et à nous prendre pour des demeurés, comme ils l’ont toujours fait.
Et Barrington Levy, comment tu l’as rencontré ?
On avait un contact en commun, un mec qui s’appelle « La pince ». Je cherchais un featuring international pour l’album. Quelqu’un de différent, pas un rappeur. J’ai eu des propositions, mais les mecs demandaient des sommes, laisse tomber. Barrington Levy c’est un ancien qui vient d’une autre culture. Je respecte ça à 100%. La culture soul c’est un truc que je kiffe depuis longtemps, c’est l’essence de la musique pour moi.
Tu es influencé par la soul ?
A mort ! Prend « Mama » par exemple, c’est une influence soul. « Chacun ses raisons » aussi. Ce sont des mélodies plus douces J’essaye de ne pas m’enfermer dans un style. Et puis on peut changer d’avis, il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis non ? La légende que Barrington Levy porte, ça me plaisait. Je lui ai ramené un son qui me ressemblait, je l’ai amené sur mon terrain. Lui m’a apporté ses gimmicks légendaires, c’était terrible. Il nous a respecté. A l’avenir je vais multiplier ces collaborations avec des artistes, « hors-rap ».
Comme qui ?
Gnarks Barkley, tu tapes son nom et t’écoute « Who’s Gonna Save My Soul » laisse tomber. C’est de la musique de bonhomme plus même que le rap. De la musique d’homme poilu, viril [rires].
Tu clos une trilogie avec ton « Miraculé, mais ça marque surtout ton début de carrière ?
J’avais peur que les gens ne comprennent pas. Qu’ils se disent : « le mec fait une trilogie et puis c’est tout ». Mais non. Le plus important c’est pas la trilogie, c’est ce premier véritable album. Et il y en aura d’autres.
Tu avais pas mal de titres près depuis un bon moment. Du coup le deuxième album est déjà dans les rotatives ?
Les morceaux de Miraculé étaient prêts mais il a fallu que je les actualise. Je suis entrain d’écrire le deuxième album en ce moment. Je viens de recevoir des sons. J’écris, je bosse, je sélectionne des prods pour un autre projet aussi qui me tient à cœur : mettre en avant des jeunes qui ne sont pas connus, à Blois notamment. Je veux leur servir de tremplin. Mais juste de tremplin c’est tout.
C’est-à-dire ?
Le reste, je parle de leur future carrière, ils ne la devront qu’à eux. A leur talent et à leur force. Et surtout pas pour moi. Je ne fais pas ça pour dire : « regarde ce que j’ai fait pour toi. » C’est un sentiment qui compte pour moi. Je veux pouvoir me regarder dans la glace. J’aurai ce sentiment de devoir accompli. Et personne ne m’oblige hein ! Je ne dois rien à personne. Les gens qui m’ont aidé à l’époque ne venaient pas du rap et encore moins de la musique. Il y a beaucoup de mecs que j’ai envie d’amener sur le devant de la scène. Mais je dois le faire intelligemment pour pas qu’on les oublie en moins de deux.
C’est une façon aussi d’affirmer tes influences de la rue, de parler d’où tu viens…
D’où je viens c’est ce qui fait que je suis ici maintenant. Renier ça, c’est renier ma position actuelle. Quand tu rappes, tu rappes ta vie, pas celle d’une autre. Moi je rap mon passé, mon présent et mon avenir : c’est la ligne directrice de ma musique. Je suis forcé de parler de là d’où je viens, de me rappeler de là d’où je viens. C’est vital. Et je parle de la vie en général pas seulement de la musique. Si je ne m’en rappelle pas je suis perdu. Sans ça je vais nulle part.
Et s’il n’y avait pas eu la musique ?
[il couple] J’aurais été le meilleur ailleurs. C’est une question de volonté. J’ai fait du sport jeune, j’ai toujours été compétitif. J’ai été en sport étude moi, en badminton ! J’ai même failli aller en équipe de France. J’ai été refusé à cause de mon dossier scolaire. J’avais de bonnes notes mais j’étais turbulent, j’étais l’influenceur numéro un à l’école.
Tu faisais quoi ?
Je vais te raconter, au collège les profs me disaient : « Dis aux autres de se calmer en classe et on te mettra des bonnes notes. Fais régner l’ordre dans la classe. » En gros il me déléguait leur responsabilité. J’étais intelligent, j’avais des arguments. J’étais vif quand j’étais enfant et assez influent auprès des autres. Mais t’imagines deux secondes à quel point c’est grave d’en arriver là ? Dans un système scolaire, en France ? C’est fou. Au début je ne me rendais pas bien compte moi, j’ai tellement pris ça à cœur que j’en ai abusé. J’aimais ma position de puissance. Les profs ont eu peur et ont vite arrêté finalement.
C’est la musique qui t’a canalisé ?
A mort. A l’époque on était un groupe, une équipe tu vois. On était des turbulents de première zone. On allait dans les villes aux alentours, ça partait souvent en couille, en bagarres, avec coups de couteaux, etc. C’était très violent. On avait que ça en province, la violence. J’ai été invité sur Canal +, ils ont coupé mon interview et on ne comprenait plus ce que je voulais dire. Moi je disais que, tu as quelques boîtes de nuit autour de chez toi. Et si tu vas jeter un cendrier sur un videur, ça déclenches une bagarre. Et tout ce que tu auras gagné c’est que tu n’iras plus en boîte. Et après ? Tu restes en bas de ta cité, à fumer des joints, à te battre.
Et quand tu veux sortir, faut aller loin, ça coûte. Il faut de l’argent. Alors il faut faire l’argent. Dans une ville comme Blois, les usines on les connait… Frère, il te reste quoi ? Travailler pour mille euros sans subvenir aux besoin de ta famille ? Ca me fait rigoler. Que l’on ne nous reproche pas de ne pas avoir de diplôme et de nous débrouiller en nous filant des Smic. Va donner un smic à Sarko ou DSK pour vivre. Ils vont pas rester là-dessus.
Ils veulent qu’ont ferment nos gueules et qu’on vivent avec ça. Moi je trouve ça lamentable, c’est rabaissant. C’est pas vivre ça, c’est survivre. Je dis pas qu’il faut aller braquer ou autre, mais il faut faire en sorte de s’en sortir par n’importe quel moyen. Je ne jetterai jamais la pierre au mec qui va tout tenter pour s’en sortir. Les mecs qui se lèvent tous les matins, à 7h pour aller bosser à l’usine, ce sont eux les vrai soldats, ce sont eux qui méritent tous les honneurs. Moi je ne fais que de la musique. Ils méritent beaucoup plus de respect. Les rappeurs ou les sportifs ne sauvent pas de vie.
Je voudrais revenir sur l’épisode du concert annulé de Fleury ? Tu as répondu il y a deux jours au maire ?
On m’a tenu des propos mysogynes dans « VivaStreet ». Le maire a décidé de me boycotter, et a interdit mon concert. La justice lui a donné raison. Moi, j’ai cherché une réponse intelligente. Au départ je voulais arriver avec 3 000 meufs devant sa mairie. Finalement j’ai choisi, avec une amie journaliste, de faire une vidéo : j’ai fait appel à mes amazones. Elle m’ont soutenu via des vidéos. Elles étaient de toutes origines, culture, milieux, ethnies… J’ai eu le soutien de tous les milieux. Il y avait même Enora Malagré que je citais dans le morceau. Pour montrer qu’elle avait compris le second degré. Elle a été plus intelligente qu’eux, respect. J’ai livré la meilleure réponse possible. Il va se sentir très bête le maire maintenant, en tant que défenseur de la cause des femmes. Elles ont décelé son hypocrisie et son soi-disant combat, qui n’est qu’une mascarade, une vitrine pour ses intérêts personnels. Il ne faut pas prendre les gens pour des demeurés. Ils comprennent le second degré. On en a marre d’être pris pour des clowns, nous les banlieusards. On doit leur montrer qu’on sait se défendre aujourd’hui, de manière intelligente. On est pas juste des cons qui savent insulter sur des instrus, on a un message à faire passer. Les politiques n’influencent plus personne à part eux-mêmes.
https://www.youtube.com/watch?v=V3SWTKaMcdc&feature=youtu.be
Tu enchaînes les interviews. Il y a une question qu’on t’a pas posé et à laquelle tu aurais aimé répondre ?
On ne me parle jamais de ce que je pense de la manipulation médiatique et de la stigmatisation perpétuelle des arabes, des musulmans et des banlieusards. J’ai l’impression que la France est belle, mais ce n’est qu’une façade. Qu’il y a de la tolérance, mais que c’est juste une posture. Je le sens quand je monte dans le métro ou le RER, le regard des gens. La France est un beau pays qui a une belle histoire et qui défend de belles valeurs. Je trouve ça dommage que tout ça soit saccagé par des bouffons qui n’ont aucune culture de terrain qui ont juste une culture internet. Ils ne connaissent rien à la rue. La religion c’est pareil, Islam ça veut dire soumission, se soumettre à Dieu, c’est humble. Ca vaut au-delà de l’égo de l’être humain, tu comprends ?
J’aimerais qu’on me demande par rapport au foulard chez les femmes musulmanes. Quand on jette des pierres aux femmes voilées, qui cherchent à garder leur intégrité. On ne les oblige pas nous. C’est un mode de vie. Il faut que les Français et l’Occident comprennent que la femme est plus importante que l’homme. C’est un pilier. Faut arrêter de nous montrer des meufs à poil à la télé et de nous dire que c’est ça le modèle d’intégration. C’est pas ça être Français. La France ce n’est pas que des Français. L’Algérie a été française aussi, nous aussi on fait partie de son histoire, il ne faut pas l’oublier. On a eu un rôle important dans la reconstruction de la France. J’aimerais qu’on arrête de stigmatiser les banlieusards. Qu’on arrête de nous faire passer pour des demeurés sans cervelles. On n’a pas que de la haine.
Pour finir, tu suis la coupe du monde ? Tu vois qui gagner ?
L’Algérie en huitième de finale, j’en suis très content. Ce serait dingue qu’on batte la France [rires] Non sérieusement j’aimerais bien que ce soit un pays que personne n’attend. J’aimerais bien que ce soit un pays africain. Il faut mettre la lumière sur l’Afrique qui est le berceau de l’humanité. Ce serait tellement beau, wallah.
{"type":"Banniere-Basse"}