Guitariste de Chic et mythique producteur (« Let’s Dance » de David Bowie, « Like a Virgin » de Madonna, « Notorious » de Duran Duran, « Upside Down » de Diana Ross), Nile Rodgers fait son grand retour sur le nouvel album des Daft Punk, « Random Access Memories », et s’apprête à sortir son autobiographie, « C’est Chic », en France. Entretien.
Comment travaille-t-on avec des artistes de la trempe de David Bowie, Madonna, Daft Punk ? Les égos ne sont pas trop durs à gérer?
Nile Rodgers – S’ils savent ce qu’ils veulent, c’est super de discuter avec eux car ils ont alors la capacité de changer ma façon de penser. Par exemple, concernant l’album Like A Virgin de Madonna, je trouvais que Material Girl était une chanson bien meilleure que Like A Virgin et qu’elle devait constituer le tube de l’album, mais Madonna n’était pas d’accord, elle était persuadée que le single devait être Like A Virgin et que l’album devait même s’appeler Like A Virgin ! Et elle avait raison.
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Et avec Daft Punk, il y a eu des désaccords ?
Avec Daft Punk, c’était tout le contraire. Dès que je faisais un truc ils en voulaient encore. On travaillait dans une telle atmosphère que tout était une découverte pour eux. Ils reprenaient les méthodes de travail et d’enregistrement de la vieille école. Ça ne veut pas dire qu’ils ont aimé toutes mes idées. Mais nous nous sommes tellement amusés, travailler ensemble était si excitant que nous avons continué encore et encore jusqu’à ce que je n’en puisse plus ! Je ne dormais jamais ! C’était dingue.
Tu attaches beaucoup d’importance au live, aux instruments, pourquoi avoir alors choisi de travailler avec un duo électro comme Daft Punk ?
Ils ont des instruments maintenant ! (rires) Quand ils sont venus me voir ils m’ont dit qu’ils préparaient un album live, organique, j’étais donc partant.
Comment s’est fait la rencontre ?
Je les ai rencontrés à la soirée de lancement de leur premier album, il y a des années. Ensuite, on a essayé de se voir à deux reprises. La première fois on devait se rencontrer à Saint-Tropez, mais j’étais coincé à paris et eux à Saint-Tropez. La seconde fois, on devait se voir à Paris, mais j’étais retenu à Saint-Tropez et eux à Paris! On a fini par se retrouver dans mon appartement, à New York. Ils m’ont expliqué qu’ils travaillaient sur un nouvel album et ça m’a paru intéressant. Quand je me suis rendu dans le studio qu’ils avaient réservé à New York, je me suis rendu compte que c’est là que j’avais enregistré mon premier single ! L’Electric Lady a été construit par Jimi Hendrix, avant c’était un club appelé Generation. Je connais bien cet endroit parce qu’il est situé dans mon ancien quartier, je trainais tout le temps dans cette rue avant.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Les vannes se sont ouvertes ! Je suis allé à l’Electric Lady et j’ai joué plein de trucs jusqu’à ne plus en pouvoir. Au départ, on ne devait faire qu’un morceau ensemble et puis c’était tellement bien qu’on a continué.
Que penses-tu de leur look de robots ?
C’est élégant et classique, c’est vraiment cool ! Ce ne sont plus les vestes en cuir des débuts, maintenant c’est Saint Laurent, de la haute couture. Ce qui est intéressant c’est que leur look a évolué. Je trouve ça fantastique. Chic était beaucoup basé sur la mode et l’anonymat. Personne ne savait qui on était avant que l’on s’habille en “Chic”. Maintenant on me reconnaît parce que j’ai des dreadlocks très longues! (rires)
Étais-tu fan de Daft Punk et des autres artistes avec qui tu as travaillé avant de bosser avec eux ?
Je n’ai pas pour habitude de bosser avec des gens que je n’aime pas. J’ai eu de la chance car tous ceux avec qui j’ai travaillé je les ai rencontrés par moi-même, sans passer par un manager. Madonna, je l’ai rencontrée dans un club, tout comme Bowie, Duran Duran, INXS. Daft Punk c’était à une soirée de lancement. Personne ne m’a appelé pour me demander si je voulais travailler avec eux. La seule personne que je ne connaissais pas c’était Sheila. Là un manager nous a appelé Bernard [Edwards, bassiste de Chic, ndlr] et moi. Au début on ne voulait pas le faire et puis il nous a convaincu. Dieu merci car Spacer est une des chansons que j’ai écrites que je préfère !
As-tu une collaboration préférée ?
Tout ce que j’ai fait avec Bernard Edwards, de Chic à Sister Sledge en passant par Sheila et Diana Ross. Si on ne parle que de ce que j’ai fait tout seul, je dirais Let’s Dance de Bowie. Pas parce que c’est le meilleur disque de tout les temps – même s’il est très bien- mais parce que j’avais connu six échecs d’affilée et que plus personne ne voulait me parler. C’était la période après « Disco Sucks » [mouvement anti-disco, ndlr] qui a mis un terme à Chic. Après la sortie de Good Times en 1979, on n’a plus jamais réussi à faire un hit. Ça nous a vraiment blessés. Le fait que Bowie ait eu assez de courage pour croire en moi et me permettre de faire un disque comme Lets Dance, ça a été très important à mes yeux.
Avec qui aimerais-tu travailler à l’avenir ?
Je n’ai jamais arrêté de travailler : je bosse sur des jeux vidéos, sur un film, sur une comédie musicale, je travaille avec tout un tas de gens supers. J’ai quitté le business de la pop music pendant un temps car ça ne m’intéressait plus : avant on vendait des millions de disques, maintenant si on fait un tube ça se compte en centaines de milliers. Ce n’est plus aussi excitant. Mais avec Daft Punk on a sorti Get Lucky et on a immédiatement dépassé les centaines de milliers de ventes. Je ne m’y attendais pas. J’ai travaillé avec eux parce qu’on s’amusait bien et que sur le plan artistique ils me proposaient quelque chose qui m’attirait.
Les parodies et les covers de Get Lucky se multiplient depuis la sortie du single, tu les as écoutées ?
J’en ai écouté une dizaine et il y en a certaines que j’adore ! Hier soir, j’étais en route pour diner avec un compositeur de musique de jeux vidéos, et j’ai entendu une nouvelle version de la chanson dans le taxi, avec un mec qui faisait tous les instruments avec sa voix. C’était génial !
Ton autobiographie sort en français ce mois-ci, pourquoi as-tu décidé d’en écrire une?
Un de mes amis m’a poussé à le faire. J’étais chez un couple rock’n’roll qui divorçait et qui organisait une dernière fête dans leur maison avant de la vendre. Un de mes amis qui est agent littéraire et que je n’avais pas vu depuis 10 ou 15 ans était là. Il était persuadé que je devais écrire un livre pour raconter les histoires que je lui racontais quand on sortait ensemble. Je pensais prendre un « nègre » mais lui m’a dit de l’écrire moi-même. Il m’a donné vingt questions. Une fois que j’y ai répondu, il ma dit « ben voilà tu as ton premier chapitre ! Maintenant continue!”
Ça t’était déjà arrivé d’écrire autant auparavant ?
Je n’avais jamais écrit plus de trois pages ! J’ai trouvé ça intéressant que des gens puissent penser que je pouvais écrire. Moi je ne pensais pas que j’en étais capable, je n’y avais jamais réfléchi en fait. Et maintenant, j’écris un film et une pièce pour Broadway.
Pourquoi as-tu décidé de te dévoiler autant?
Je trouvais ça important de dire la vérité et d’engager une sorte de processus de cicatrisation vis-à-vis de ma famille. Dans ce livre, je ne parle pas de studio d’enregistrement avant la page 100 et quelques ! Mon histoire commence avec mon premier souvenir.
Pourquoi avoir accordé autant de place à ton enfance et avoir survolé les années 2000?
Il y avait des questions auxquelles je voulais répondre et des problèmes que je voulais résoudre. Avant, je parlais de telle chose à telle personne, et de telle autre chose à telle autre personne, mais je n’avais jamais eu l’occasion de m’asseoir et de tout raconter de manière linéaire, chronologique. Tout le monde m’a pourtant dit que je ne pouvais pas écrire une autobiographie de cette façon, en allant de mon premier souvenir à aujourd’hui. Personne ne trouvait ça intéressant, on me disait que ce qui intéressait les gens c’était les célébrités que j’avais côtoyées. Mais je ne voulais pas écrire un livre sur Madonna, je voulais raconter mon quotidien.J’ai donc commencé mon livre avec Thanksgiving car ma famille s’est toujours réunie à Thanksgiving et qu’il s’y est toujours produit des trucs. Le premier Thanksgiving dont je me souviens, je devais avoir 8 ans et mon père a failli mourir d’une overdose.
As-tu des regrets?
Oui, je regrette d’avoir dit non à Miles Davis quand il m’a demandé de lui écrire un album.
Tu as dit non?!
Je pensais que c’était une blague! Je n’ai pas vraiment dit “non”, j’ai commencé à travailler sur un album de jazz-fusion mais lui ne cessait de me dire (il l’imite) “mais non, ce que je veux moi c’est Le Freak, Good Times!” Moi je me disais « Miles Davis veut du Good Times ?! » En fait il était sérieux. Quand nous trainions ensemble, on faisait la fête, on s’amusait, on ne parlait jamais de notre musique.
Tu as 60 ans, comment envisages-tu le fait de vieillir ?
Je fais la même chose aujourd’hui qu’hier et qu’il y a dix ans, exception faite que je ne prends plus de drogues. Ma vie est restée la même et c’est ça qui est génial ! J’ai 60 ans et je ne le ressens pas. Je joue au ping-pong très vite, je joue de la guitare comme avant et je travaille tout le temps.
Tu arrêtes de bosser parfois ?
Je suis accro au travail. Toutes mes copines m’ont toujours comparé à un surfeur, parce que les surfeurs sont accros au surf, à la vague, c’est toute leur vie. C’est la même chose pour moi avec la musique. Je n’ai jamais voulu me marier ni fonder une famille. Quand j’avais 21 ou 22 ans j’étais très amoureux d’une fille et c’est la seule fois où j’ai parlé mariage car elle voulait vraiment se marier. Après, toutes mes copines ont compris que j’étais dingue de travail.
Tu envisages de sortir un nouvel album, avec Chic ou en solo ?
Je vais en sortir un prochainement car je suis tombé sur un tas de cassettes d’enregistrements et de démos de Chic qui n’ont jamais été sorties. Entre ça, le film, Broadway… il y a encore pas mal de musique à venir !
Nile Rodgers, C’est Chic (éd. rue Fromentin) traduit de l’anglais par Anne-Laure Paulmont et Fred Collay, 278 pages, 20 euros. En librairie le 16 mai.
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