Le choix de soufi. Une rencontre du troisième type entre chant mystique du Caruso pakistanais et ambient à la sauce canadienne. De Mustt mustt (1990), premier chapitre de sa collaboration avec le chanteur pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, Michael Brook dit qu’il cerne au plus près l’essence du label Real World, définie comme le mariage […]
Le choix de soufi. Une rencontre du troisième type entre chant mystique du Caruso pakistanais et ambient à la sauce canadienne.
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De Mustt mustt (1990), premier chapitre de sa collaboration avec le chanteur pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, Michael Brook dit qu’il cerne au plus près l’essence du label Real World, définie comme le mariage parfait entre traditions musicales séculaires et technologies de pointe. Traduite en langage géopoliticien, la formule revient à faire du petit gisement poly-ethnique exploité depuis sept ans par Peter Gabriel le seul terrain sur lequel les rapports Nord/Sud se développent harmonieusement. Il est vrai qu’entre le gnawa d’Hassan Harkmou & Zahar, le chant de gorge des steppes reculées d’Asie centrale de Shu De et les mélopées lapones de Mari Boine Persen, Real World assure, d’une manière bon enfant et concernée, la protection de ces zones où s’efforcent de survivre quelques minorités culturelles menacées par le grand lessivage computérisé. Le paradoxe de cette démarche est qu’à vouloir ainsi exposer ces identités artistiques irréductibles, on prend le risque de les voir se dissoudre dans des projets « ushuaïesques » type Deep forest ou Indian spirit. Ce que n’est nullement Night song qui constitue une aventure assez inédite dans le répertoire des voyages proposés jusqu’alors par le label, un périple où l’échange Orient-Occident conduit à produire un espace non cartographié et comme libéré des contraintes de l’Histoire et des lois de la gravité. Ceux qui ne peuvent s’empêcher de procéder à l’étiquetage méticuleux de leurs écoutes pourront appeler cela du space qawwali, du nom de cette forme musicale syncrétique de l’Islam non orthodoxe dont Nusrat Fateh Ali est pour ainsi dire l’Elvis Presley. Expression de l' »essentiel désir », le qawwali est un chant religieux destiné à véhiculer le message poétique des soufis. Dans sa forme d’origine, les musiciens nourrissent le chant, entretiennent l’émotion comme une flamme, conduisant leur auditoire à l’extase. Le travail de Michael Brook, musicien canadien, producteur esthétiquement proche de Brian Eno, a consisté à replacer le chant dans un cadre temporel plus conforme aux normes occidentales mais aussi à lui accorder une véritable extra-territorialité en le traitant à travers nappes synthétiques et boucles rythmiques. L’exubérance, la prodigalité vocale qui caractérisent habituellement les performances de Nusrat, sinuant vers l’infini à la manière d’une rame de haricot géante destinée à mener celui qui cherche à un niveau supérieur de spiritualité, est tenu ici de croître dans l’intimité d’un potager anglais. Comment Michael Brook est-il parvenu à substituer au poids des siècles et de la tradition une dimension virtuelle tout en préservant l’ondoyant raffinement d’une émotion vocale sans pareille ? C’est bien là le mystère de cet album traversé d’illuminations My heart my life, Lament , parfois entravé par des choix instrumentaux agaçants une batterie envahissante sur Longing , mais dont l’écoute libère l’imaginaire vers des contrées à ce jour inexplorées.
Nusrat Fateh Ali Khan & Michael Brook Night song (Real World/Virgin)
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