Cinq ans après Contrepoint, un premier album solo autour de l’œuvre de Bach, le fondateur de Air revient avec Concrete and Glass, un beau disque de variations instrumentales et vocales inspirées par l’architecture moderniste.
Depuis Modular Mix (1995), le premier single de Air – alors pas encore l’entité bicéphale au succès planétaire –, on connaît l’appétence de Nicolas Godin pour la spatialisation sonore. Par sa formation d’architecte, le compositeur versaillais a toujours pensé la musique en trois dimensions.
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“Quand je crée une chanson, je m’imagine comme un décorateur ou un architecte d’intérieur. Mon rêve serait d’observer un morceau à peine composé sur une table. Le Corbusier n’avait pas pensé la dimension acoustique, je souhaitais donc modestement apporter ma petite contribution au Modulor. J’ai toujours conceptualisé la musique en 3D avec beaucoup d’espaces – ou de vides en étant ironique –, comme si je rentrais physiquement dans les morceaux.”
Un jour de grève de décembre 2019, dans une capitale transformée en gigantesque piste cyclable, le musicien mesure pleinement ce qu’il doit à l’ancien étudiant en architecture, qui a imaginé les plans de son tout nouveau studio sis rive gauche, non loin du boulevard du Montparnasse. Après une décennie passée dans le studio Atlas du quartier de Belleville avec son ex-acolyte Jean-Benoît Dunckel, le fondateur de Air se souvient encore de ses années estudiantines entamées en pleine mode Jean Nouvel.
Hommage à Malevitch
“Je fais vraiment partie de la génération qui a subi en école d’archi un lavage de cerveau sur Le Corbusier alors que j’ai toujours été attiré par les architectes américains comme Richard Neutra, John Lautner ou Pierre Koenig. Je suis très sensible à l’hédonisme de la Californie, qui est liée à l’architecture moderne et que j’ai essayé de retranscrire sur la pochette de Concrete and Glass, une photo prise au Maroc.” Autres références graphiques délibérées : la pochette d’Aux armes et cætera (1979) de Gainsbourg ou une partie de la discographie de Robert Palmer.
Ce deuxième album de Nicolas Godin, qui paraît en janvier (son mois fétiche pour sortir un disque, comme Moon Safari en 1998), trouve son origine dans le projet Architectones de Xavier Veilhan, dont le titre rend hommage au Russe Kasimir Malevitch, un des premiers artistes abstraits du XXe siècle.
Entre 2012 et 2014, le célèbre plasticien, qui a représenté la France à la Biennale d’art de Venise 2017 avec son mirifique Studio Venezia (par lequel Nicolas Godin est passé et où il a gravé un titre inédit), a réalisé une série d’interventions dans des lieux majeurs de l’architecture moderniste, de Los Angeles (la VDL Research House de Richard Neutra, qui a inspiré au Versaillais le premier morceau du disque, Turn Right, Turn Left) à Marseille (la Cité Radieuse de Le Corbusier), de Moscou (la Maison Melnikov) à Nevers (l’église Sainte-Bernadette du Banlay de Paul Virilio et Claude Parent).
Cadavre exquis
Ces Architectones sont ainsi devenues des architectunes sous le titre final de Concrete and Glass, qui se traduit littéralement par “béton et verre”. “Chaque bâtiment me renvoyait des signaux particuliers ou des souvenirs personnels. La maison de Richard Neutra ou de John Lautner à Los Angeles me rappelaient l’ambiance des films de Brian De Palma ou de Robert Altman et me donnaient des idées de musique.” De ce point de départ, Nicolas Godin réfléchit à garder une trace, enregistrant chaque bande-son en studio sans que le résultat instrumental ne le satisfasse pleinement.
Il décide donc de faire équipe avec Pierre Rousseau, l’ex-moitié de Paradis qui se démultiplie depuis le triste split du duo pop électronique – on a notamment vu son nom dans les crédits du dernier Metronomy et il a signé un morceau instrumental sur la compilation Musique ambiante française vol. 2 (Tigersushi Records, 2019).
“Je m’y suis repris à trois fois avant de trouver la bonne couleur. Car je voulais un disque plus moderne que Contrepoint et faire résonner les chansons indépendamment de leur origine architecturale. J’ai procédé comme un cadavre exquis : la composition en fonction de chaque maison, en laissant par ricochet carte blanche à chaque interprète, choisi volontairement hors de mon carnet d’adresses.”
Au générique du disque produit par Pierre Rousseau et mixé par Tony Hoffer (l’homme déjà aux manettes du chef-d’œuvre 10 000 Hz Legend, en 2001), les Californiens Kadhja Bonet et Cola Boyy côtoient ainsi l’Australien Kirin J Callinan, l’Anglais Alexis Taylor (Hot Chip) ou la Russe Kate NV.
Eviter le syndrome du disque conceptuel
Intransigeant et pointilleux, Nicolas Godin souhaitait à tout prix éviter le syndrome du disque conceptuel, cérébral et limite prétentieux. “Construire un album, c’est autant de l’artistique que de l’humain. Elaborer des chansons en équipe, c’est aussi l’un des plaisirs de la vie. Je manque trop de distance par rapport à mon travail alors j’ai besoin de m’entourer et d’avoir l’avis des gens en qui j’ai confiance.”
Plus pop et moins baroque que l’inusable Contrepoint, ce nouveau disque solo rappelle les plus belles heures de Air, alternant plages semi-instrumentales (Concrete and Glass), ballades oniriques (Catch Yourself Falling, avec la voix exquise d’Alexis Taylor) et chansons interstellaires vocoderisées par son auteur (What Makes Me Think about You, comme le prolongement accéléré du Soleil est près de moi). Entre Nicolas Godin et le vocoder, l’histoire d’amour dure depuis un quart de siècle.
“Je me souviendrai toujours de la première fois où j’ai essayé un vocoder. C’était un soir, j’habitais encore rue Burq dans le quartier de Montmartre et j’ai chanté Le soleil est près de moi, c’était fou ! Depuis, le vocoder est devenu ma spécialité. Pour ce disque, j’ai testé le vocoder de Kraftwerk car je voulais un son plus métallique et robotique. Je reviens sans complexe au vocoder comme sur les deux premiers albums de Air.”
D’ailleurs, en fin de conversation, Nicolas Godin reconnaît aisément qu’entre l’architecture et la musique, il a longtemps hésité sur la voie définitive à emprunter. Tout s’est finalement joué grâce à un album fondateur de 1994, avec le succès international que l’on sait pour Air.
“J’ai appris la musique avant d’acheter les disques, simplement en regardant la télévision. Je me suis nourri des musiques de films devant La Dernière Séance, la fameuse émission d’Eddy Mitchell sur FR3. J’ai été marqué à vie par des compositeurs comme Ennio Morricone, John Barry, Aaron Copland, Nino Rota, Michel Magne, Georges Delerue ou François de Roubaix. C’est grâce au premier album de Portishead, qui samplait des musiques de films, que je me suis convaincu de jouer ma carte instrumentale.”
Album Concrete and Glass (NCLS/Because)
Concert Le 1er février, Paris (Closer Music, Lafayette Anticipations)
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