C’est avec un album sacrément digne, inspiré et tendu, le jouissif Get Ready, que New Order a choisi d’achever huit années de vacances en ordre dispersé. Et avant de faire l’événement du Festival des Inrocks en novembre, le groupe le plus influent des deux dernières décennies renouait déjà avec la scène cet été à Liverpool.
Tenons-nous prêts pour une rentrée rock’n’ roll. D’un côté The Strokes, gandins super en vue du moment, qui ont pour eux la jeunesse, les chansons impeccablement rétros et néanmoins actives, la dégaine CBGB’s (cet anti-BCBG en bons New-Yorkais chics et destroy) très travaillée, la fougue et la fièvre. Ils ont surtout le futur (proche) au bout des médiators et une gloire internationale dans la ligne de mire.
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De l’autre côté New Order. Soit une bande de quadras anglais un tantinet avachis, qui ont récemment pansé leurs ranc’urs profondes pour retourner en studio et tenter d’éponger les échecs cuisants et répétés de leurs escapades dissidentes (Electronic, Revenge, The Other Two, Monaco, par ordre de non-apparition dans les charts).
A priori, ce septième album des vétérans mancuniens, justement à l’heure où les Strokes et quelques excités du même calibre tambourinent aux volets, ne devait pas éveiller un enthousiasme débordant. Car l’impression frustrante laissée par la précédente sortie officielle de Barney, Hooky et les deux autres, en 1993 (huit ans !), ce Republic assurément plus plat que platonicien, rendait évidente l’idée que New Order n’était plus là que pour s’assurer une rente en faisant tourner une juteuse boutique à souvenirs. Ronronnant à un tiers seulement de son régime habituel (le tiers provisionnel, disaient à l’époque les plus perfides), le New Order fatigué de Republic carburait à la tisane electro-pop et semblait tout droit embarqué pour une longue retraite à pantoufler dans les travées d’un mythe que d’autres se chargeraient d’entretenir pour eux.
La retraite fut effectivement longue, plus d’un septennat à peine interrompu par l’envoi de cartes postales sibyllines fort peu encourageantes quant à leur état de forme (l’anodin inédit Brutal, cerise un brin confite sur la BO du pudding new age The Beach) avec, au bout de ce tunnel interminable, un hypothétique nouvel album annoncé et ajourné au moins dix fois ce qui n’était pas non plus très bon signe.
Quant à la légende New Order, elle ne s’est en revanche jamais si bien portée : né des cendres d’un Joy Division toujours plus mythique, le quatuor à l’origine coupable de l’hérésie suprême d’avoir osé accoupler la new-wave à la disco (en lui mettant son manche à balai dans le cul, ce qui donna l’historique Blue Monday), est l’objet d’un unanimisme formidable maintenant que les adeptes de toutes ces chapelles pratiquent l’échangisme sans aucun complexe.
« New Order a définitivement changé la face de la pop-music », annone le dossier de presse qui accompagne Get Ready. Merci du renseignement, mais prévenons pourtant d’emblée les amateurs de sensationnel que ce septième opus ne changera pas la face de quoi que ce soit, hormis peut-être celle de New Order lui-même.
On l’a annoncé au début et cela pouvait surprendre : Get Ready est un disque de rock, le plus rock en tout cas de toute la carrière du groupe. Ce n’est ni At The Drive-In ni The Strokes, mais ce n’est pas non plus du Pet Shop Boys essoré au lavoir hétéro-centriste comme on pouvait le craindre, ni un remake syndical de Republic. Serré et compact, le New Order nouveau bouillonne à l’intérieur d’une sève retrouvée, qui lui irrigue et lui retend les chairs, prête à jaillir à chaque seconde. Get Ready, steady, go !
Et pourtant, ça démarre par quelques secondes un peu de traviole, par une guirlande synthétique d’un autre âge (86, par là) et les vagissements soul(ants) de la choriste Denise Johnson. Une fausse piste, vite remise en ordre par quelques coups de baguette magique qui déclenchent un rideau de guitares et le premier des tubes certifiés de Get Ready.
Pourtant, par rapport à ce qui va suivre, Crystal, premier single et premier morceau de l’album, ressemble à un tour de chauffe où New Order s’amuse à inventorier ses gestes fondamentaux : la basse distordue, belliqueuse et inimitable du Capitaine Crochet (Peter Hook), le timbre somnolent de Bernard Sumner, quelques nappages synthétiques entrecoupés de breaks mollement house. Cela dit, Crystal est un bon concentré du versant pop de New Order pour qui n’aurait plus les anciens albums (Low Life notamment) sous la main.
Une tout autre affaire démarre avec 60 Miles an Hour, qui use sensiblement des mêmes ingrédients mais qui, avec un peu plus de carburant embarqué, possède la fière allure d’un bolide partant à l’assaut d’une route cahoteuse. Avec un son quasiment live, étrangement rêche et sale, New Order donne superbement le change à ses suiveurs, notamment aux Smashing Pumpkins de 1979.
Ce qui tombe vraiment à pic puisque Billy Corgan est l’invité du morceau suivant, Turn my Way, encore un titre de New Order ultra-classique dans sa construction mais dont l’étrangeté, au final, réside dans cette intrusion du Fantomas gothique au c’ur de ce système que l’on pensait ultra-verrouillé. Parasite et pirate, Corgan contamine et prend possession insidieusement du centre nerveux du morceau, et le mariage des deux voix dissemblables de Billy et de Barney provoque une drôle d’alchimie délétère, rarement de mise chez New Order, où tout est d’ordinaire parfaitement carré et cartésien. Ajoutons que c’est le troisième morceau consécutif où les guitares et une batterie en peau véritable conduisent la marche. Le batteur Stephen Morris, à la fin de l’enregistrement, a sans doute pour la première fois de sa carrière de métronome récolté des ampoules aux mains.
Arrive alors Vicious Streak, et cette fois enfin c’est un beat électronique qui prend le relais, aussi sec et essentiel que les frappes chirurgicales d’Arthur Baker au début des années 80 (Confusion). Sauf qu’ici, la chanson est quasiment une ballade. Entouré d’un minimum d’effets (discrets clapotis synthétiques, la basse la plus ronde et affable possible, quelques filtres apaisants), Barney en profite pour tricoter l’une de ces mélodies crève-c’ur dont il possède l’éternel secret. Parvenu à la moitié du disque, on est rassuré par l’excellent niveau général, mais le faux rythme de l’album suscite toutefois une interrogation : New Order possède-t-il les ressources requises pour accélérer un peu la pression artérielle ? La réponse arrive, cinglante et directe, avec l’épique Primitive Notion, titre emmené par un motif de guitares offensives et non huilées et par une cavalcade de bongos, le tout rejoint vers le milieu par une grosse artillerie techno pour une montée en puissance qui rappelle la transe électrogène des derniers Primal Scream.
Le morceau suivant, Slow Jam, sonne encore plus Primal Scream, voire stonien, voire stoogien ! Une batterie lourde, une guitare qui n’hésite pas à se transformer en fauve : New Order fait dans le « vieux désordonné » millésimé début seventies (Exile on Main Street, Raw Power…) tout en conservant un minimum de sa rigidité endémique (Closer, Ceremony…). Arrive ensuite Rock the Shack, qui sonne toujours très Primal Scream mais c’est logique : Bobby Gillespie et Andrew Innes, deux Screamies en goguette, y tapent l’incruste. Rock the Shack, c’est la bombe euphorisante de Get Ready, sans doute un hit planétaire en devenir. Barney se souvient qu’il a passé plus de bon temps ces dernières saisons aux côtés des Chemical Brothers et de Primal Scream qu’avec ses collègues réguliers. D’où ce titre enflammé et énorme (voire un peu bourrin) qui entrechoque big beat et rock sévèrement burné en quatre minutes de pur relâchement potache.
Beaucoup plus subtil, Someone Like You démarre par un long préambule où flotte un enivrant effluve de dub electro, puis le pouls s’accélère, se redresse, les chœurs de professionnelles lascives refont une apparition sur des refrains un peu trop gluants pour être digestes et la chanson part un peu en vrille. En revanche, les couplets tendus comme des arcs et l’enveloppe instrumentale sont impeccables. Possible futur single également, Close Range, hormis une boucle techno qui tournoie comme des pales d’hélicoptère, est encore une satanée pop-song bâtie selon les schémas déposés par New Order durant la seconde moitié des années 80 (période Brotherhood et Technique) et dont ils sont les seuls au monde à maîtriser tous les ressorts et à savoir reproduire les fines nuances.
Nous voilà presque au bout et le meilleur, pourtant, reste à venir. En guise de coda, New Order rengaine ses fusils d’assaut, débranche la prise de courant, renvoie Primal Scream sur la planète des Singes et déploie le grand jeu : guitares acoustiques, tambourin, mélodica et nuage de cordes pour une ballade splendide et ouvragée comme un papillon de soie. Pour les dernières paroles du disque, après avoir décliné une fois de plus pendant cinquante minutes son sujet favori (la mélancolie domestique, les romances de proximité qui finissent en quenouilles), Barney nous gratifie d’une belle lapalissade : « I’m gonna live ’til I die », puis ajoute « I’m gonna live to get high. » De nouveau à la hauteur de sa réputation, New Order n’est pas prêt de mourir.
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Get Ready (London/Wea).
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