Depuis la séparation brutale de New Order, on était sans nouvelle de leur chanteur Bernard Sumner. Qui revient avec un nouveau groupe, Bad Lieutenant, un nouveau bassiste – Alex James de Blur – et un concert en novembre au festival des Inrocks.
Depuis la séparation brutale de New Order, on était sans nouvelle de leur chanteur Bernard Sumner. Qui revient avec un nouveau groupe, Bad Lieutenant, un nouveau bassiste – Alex James de Blur – et un concert en novembre au festival des Inrocks.
Entretien
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[attachment id=298]Tu viens de finir le premier album de Bad Lieutenant. Est-ce un moment de doute ou de soulagement ?
Je suis, au moins pour quelques heures, de bonne humeur. Pour un perfectionniste comme moi, c’est très dur d’accepter qu’un album est fini, que je ne peux plus changer tel ou tel détail. Surtout que sur cet album, tout se joue dans les détails. On n’imagine pas le boulot que réclame un album. Mes copains, qui ont des boulots normaux, pensent que ma vie est vraiment facile, que tout n’est que plaisir, que ce n’est pas vraiment un job. Pourtant, j’ai constamment l’impression de pousser un énorme rocher vers le sommet d’une montagne.
Ce chantier a été long ?
Presque deux ans, avec un sprint épuisant pendant les dix derniers mois. Trouver l’idée d’une chanson, un bon riff de guitare, une suite d’accords, c’est bien sûr fondamental, mais ça ne représente que 10% du travail. Chaque membre du groupe possède son propre studio, on n’a donc pas passé une seule journée dans un de ces studios professionnels, qui coûtent une fortune et qui t’obligent du coup à finir ton album dans un temps imparti. Nous n’avions pas cette pression du temps ou de l’argent : nous avons donc passé des jours et des jours sur des détails qui peuvent paraître insignifiants. La seule limite, c’est la taille de son disque dur. D’un studio normal, on ressort toujours frustré. Cette émergence des home-studios a bouleversé à tout jamais la musique qu’on entend, elle est nettement plus complexe, sophistiquée, riche en détails.
Est-elle forcément meilleure ? L’urgence, ça peut avoir son charme ?
Merci, je viens de passer deux ans de ma vie sur un album, vous le trouvez pompeux, surproduit ? (rires)… Avec New Order, je grinçais systématiquement des dents en recevant nos nouveaux albums : un vrai sentiment d’inachevé, de bâclé même parfois. Là, au moins, l’album ressemble exactement à ce que j’avais en tête.
Tu réalises que tu as enregistré sur presque cinq décennies ?
(rires)… Salopard. Les années 70 ne comptent pas, j’étais un mioche, c’était vraiment la fin de cette décennie et les années 10 n’ont même pas encore commencé… Mais c’est vrai qu’à l’époque, je n’envisageais pas du tout une telle longévité. C’est effrayant, et en même temps très satisfaisant d’être là depuis si longtemps. C’est merveilleux d’avoir passé plus de trente ans à faire ce que j’aime le plus au monde. Etre rester créatif si longtemps, c’est un miracle. Car c’est l’unique raison pour laquelle je suis encore ici : ma créativité. C’est une urgence, une pulsion qui refuse de mourir – un truc très instinctif, qui m’échappe.
Ça s’est manifesté comment au départ ?
Dès l’école. J’étais nul dans toutes les matières académiques, particulièrement en maths et en français. Je me suis retrouvé acculé dans un coin, où il m’a fallu me poser cette question : “je suis bon à quoi ?” C’est là que je me suis rendu compte que les seules matières que j’aimais et où je brillais, c’était le dessin, la peinture, le design… J’ai ensuite canalisé ça vers la musique. Et quand Ian Curtis est mort, je me suis tourné vers l’écriture de mots, pour la première fois de ma vie… Je n’avais encore jamais mesuré la responsabilité des mots, des mélodies vocales. A chaque fois que j’allume mon ordinateur pour écrire une texte, je ressens une très forte appréhension. Mais après plusieurs heures de travail et de doutes, ça devient un plaisir – même si je m’interdis de le reconnaître. Partir de rien à 18 h et avoir un texte qui me touche à 3 h du matin, c’est un voyage fascinant. C’est un plaisir très solitaire, surtout après avoir passé sa vie en groupe…
Tu te demandes parfois où tu serais aujourd’hui si tu n’avais pas eu le courage de tout plaquer pour Joy Division ?
J’y réfléchis souvent… J’ai quitté l’école à 16 ans, sans la moindre qualification, sans le moindre but. Mais je pense que j’aurais fini un jour en école d’art, pour m’orienter vers le design. J’ai toujours été très visuel. J’ai même, on ne le sait pas forcément, designé plusieurs de nos pochettes. Le diagramme sur la pochette d’Unknown Pleasures de Joy Division, c’est moi qui l’ai proposé. Mais c’était difficile à l’époque de Joy Division, puis New Order : pour des raisons politiques, de susceptibilité, je ne pouvais pas m’impliquer autant que je le voulais dans les visuels… Mais avec Bad Lieutenant, je m’amuse enfin avec cet aspect aussi de la musique – du choix des visuels à la typographie.
Ça s’est passé comment, la fin de New Order ?
Notre bassiste Peter Hook nous a quittés l’an passé. Je ne peux pas vraiment entrer dans les détails, mais… il avait des problèmes d’alcoolisme, a fait une cure de désintoxication et en sortant, il a décidé qu’il nous détestait. Ça faisait des années qu’entre lui et moi, il y avait des problèmes de personnalités, ça n’allait pas dans le sens de la réconciliation. Notre relation était devenue totalement… irrationnelle. Nous étions des gens très différents en fin de compte : nous ne partagions pas les mêmes valeurs, les mêmes attitudes, le même humour… Nous n’étions plus du tout sur la même longueur d’ondes. Il devenait de plus en plus colérique vers la fin du groupe, il était impossible de travailler ensemble. On ne pouvait plus se supporter, on détestait toutes les idées que l’autre apportait au groupe… J’ai alors décidé qu’il serait peut-être judicieux d’enfin bosser avec des gens avec lesquels je m’entends, avec qui ça se passe bien. La gentillesse, c’est quand même pas mal. Je suis trop vieux et trop heureux pour vivre avec un type qui ne m’aime pas, je ne veux pas laisser déteindre sur moi l’aigreur et la colère d’un collègue. C’était très triste, mais je ne pouvais pas continuer sous le nom de New Order. Hook m’avait d’ailleurs menacé de procès si je continuais sans lui… Je sais qu’en repartant sous un nouveau nom, je redémarre en bas de l’échelle, que je vendrai moins de disques que sous le nom Joy Division ou New Order, deux groupes qui sont devenus des marques très fortes. Mais d’un autre côté, il faut être honnête, je travaille avec de nouveaux musiciens, sur de nouvelles pistes : ce n’est plus New Order. Le groupe avait atteint ses limites, son explosion était programmée.
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