Deux semaines après la sortie des Étoiles vagabondes, certifié disque de platine, Nekfeu en propose une version augmentée de seize nouveaux morceaux, nés sur la route et toujours aussi personnels.
La rumeur ne cessait d’enfler ces derniers jours. On disait que Nekfeu fomentait un nouveau coup marketing, qu’il était sur le point de publier un nouvel album, qu’il pourrait contenir la folie, l’extravagance et la démesure recherchées par le rappeur et son équipe dans le documentaire, Les étoiles vagabondes. Alors, plutôt que laisser se propager trop longtemps cette rumeur, sur laquelle tout le monde projetait finalement ses propres attentes et fantasmes, Nekfeu a profité de la fête de la musique pour se manifester et révéler seize nouveaux morceaux. Et d’emblée, un constat s’impose : Ken Kaneki, L’air du temps, Oui et non et les autres ne constituent pas une suite aux Étoiles vagabondes, mais bien un complément, une “expansion” pour reprendre le titre du projet.
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On tient pour preuve le tracklisting, où chacun des nouveaux morceaux est mêlé aux titres préexistants (et non à leur suite, comme La Fête est finie – Epilogue d’Orelsan, par exemple), au point d’apporter un éclairage nouveau au titre qu’il précède ou succède – à titre d’exemple, Écrire est placé juste avant Ciel noir, qui s’ouvre sur ses mots : “Écrire, c’est la première action d’un homme privé de liberté”.
Rêve américain
À l’écoute de ces quelques vers, impossible d’ailleurs de ne pas penser au Vagabond des étoiles, chef-d’œuvre littéraire où Jack London (ou plutôt est-ce son alter ego, Darrell Standing) s’évade d’une prison par l’écriture et par le souvenir de ce que furent ses vies antérieures – rappelons, au passage, que l’introduction du premier album de Nekfeu s’appelait Martin Eden. À l’écoute des Étoiles vagabondes : expansion, impossible également de ne pas penser que le rappeur parisien, qui a envisagé, rappelons-le, l’errance comme un moteur créatif pour l’enregistrement de son troisième album solo, a trouvé en Amérique son salut artistique.
Il est en effet frappant de constater que les moments les plus touchants et les plus saisissants de ce nouvel album, mais aussi du film qui l’accompagne, sont ceux qui ont pris forme à la Nouvelle-Orléans, au beau milieu des tempêtes, des fanfares, des pluies diluviennes et de ces studios où traînent des chorales de gospel et de grands trompettistes (Trombone Shorty). Il y a deux semaines, on découvrait ainsi émerveillé des titres comme Premier pas et Ciel noir. On s’enthousiasme désormais pour Dernier soupir, certainement nommé ainsi en référence au refrain de Premier pas (“Et si les cyclones étaient la somme de tous les derniers soupirs de la Terre ?/Et si les tremblements de terre étaient la somme de tous nos premiers pas ?”) et fascinant de maîtrise dans la production.
Nouvel homme
Pour le reste, on l’a dit, on le répète, ces seize nouveaux morceaux s’inscrivent dans la droite lignée des précédents, ils ont indéniablement été façonnés dans le même moule. Des diptyques semblent se dévoiler (Natsukashii–Takotsubo, Ecrire–Ciel noir, Premier Pas–Dernier Soupir), les proches continuent à venir prêter main-forte (Doum’s, 2zer, Framal, Mekra) et l’ambiance se veut toujours très introspective, torturée même. Sans que Nekfeu cherche une seconde à s’en cacher : “Il me semble que je sombre depuis quelques mois/Tellement sombre que mon ombre est plus claire que moi”, entonne-t-il en ouverture d’Energie sombre.
Alors, bien sûr, on peut trouver à cette expansion les mêmes défauts que ceux de la version originale – un manque d’audace stylistique (mais est-ce seulement son but ?), une accumulation de rimes en “comme” et la présence de morceaux anecdotiques (Chanson d’amour, Cdglaxjfkhndath) -, mais la vérité est que Nekfeu a mis en place ici une œuvre bien supérieure à tout un tas d’albums contemporains. Avec, en prime, au moins un banger d’ores et déjà voué à faire date : Sous les nuages, un titre à l’énergie folle, au rythme entêtant et au propos parfaitement en phase avec le reste du disque (l’amour des siens, la méfiance vis-à-vis du succès, le racisme, etc.). Pas pour rien, d’ailleurs, si Sous les nuages est pour le moment le seul morceau clippé du disque…
Pas pour rien, non plus, si cette version augmentée se conclut par À la base, un boom-bap où Nekfeu donne l’impression de composer en temps réel, échoue, bute sur une instru, et reprend : ses réflexions sur la vie (“Des potes partent, tous ceux qui sont d’passage bé-tom/L’impression d’voir des codes-barres à chaque passage piéton”), ses dédicaces à son entourage, ses envolées qui romantisent la rue et le récit des coulisses des Étoiles vagabondes. On est alors convaincu que Nekfeu a envisagé ce projet comme une vraie psychanalyse, comme un moyen de se raconter avec sincérité auprès des fans, et donc de refuser le rôle de pop star que certains aimeraient le voir endosser.
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