D’une conversation fleuve avec Nick Kent pour la parution d’Harvest Moon en 1992 à un entretien exclusif autour de Silver & Gold il y a tout juste vingt ans, le Loner s’est parfois longuement livré aux Inrockuptibles. Voici quelques morceaux choisis dans lesquels transparaît la personnalité du légendaire vétéran canadien.
After the Gold Rush (1970)
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After the Gold Rush me semblait être la suite logique d’Everybody Knows This Is Nowhere. Juste après avoir commencé à jouer avec Crosby, Stills & Nash, je suis parti en tournée. Je me suis mis à jouer des trucs vraiment funky, des morceaux qui annonçaient la couleur musicale que nous souhaitions pour l’album suivant. Nous avons enregistré Wonderin’, Dance, Dance, Dance, It Might Have Been, Winterlong et quelques autres. J’ai fait transférer ces morceaux en son digital pour les Archives.
Buffalo Springfield
Buffalo Springfield était un grand groupe, mais son véritable noyau était canadien. Nous étions trois : Bruce Palmer, le batteur Dewey Martin et moi. Avec nous, il y avait deux Américains. Or, si vous regardez un film Super-8 de l’un de nos concerts, vous constaterez que nous jouons tous les trois serrés, à l’arrière, alors que Stephen Stills et Richie Furay sont sur le devant de la scène. Il en était toujours ainsi, nous étions tellement pris par notre musique que nous ne prêtions aucune attention au reste.
Malheureusement, lorsque nous entrions en studio, l’ambiance changeait, et nous n’arrivions pas à comprendre pourquoi. Je crois que nous aurions dû enregistrer live, en direct, depuis le tout début. Mais les producteurs voulaient nous faire adopter la dernière technique en vogue : enregistrer un morceau en entier, puis ajouter le chant. Voilà pourquoi les disques de Buffalo Springfield ne sonnent pas comme ils le devraient. Pour moi, ce sont tous des échecs.
Cocaïne
C’est la cocaïne et les problèmes d’ego qui ont tué CSN&Y. On peut survivre à la coke, on peut dépasser les problèmes d’ego. Mais si les deux s’entrechoquent, c’est l’explosion.
“Stephen Stills est venu chez moi pour me demander si je voulais me joindre au groupe. J’ai réfléchi, puis j’ai dit ‘peut-être’.”
Composition
La première chose que j’ai apprise, c’est qu’un nombre incroyable de chansons sont construites sur trois accords. C’est une idée qui vient du blues. On commence en sol, on passe en do, puis on boucle l’affaire avec un accord en ré. J’ai donc appris à travailler à partir de ces trois accords, avant d’approfondir. J’ai toujours appris seul, en m’améliorant au fur et à mesure… Mon premier concert, je l’ai donné avec un groupe de gamins du quartier.
Au départ, nous nous appelions The Esquires, puis Stardust, et finalement, nous avons opté pour The Squires. On jouait nos propres trucs, surtout des instrumentaux dans le style de ce groupe anglais, Hank Marvin And The Shadows. Parfois, on essayait des choses un peu plus funky, plus rhythm’n’blues. C’est à cette époque que j’ai joué, pour la première fois, Farmer John des Premiers.
Crazy Horse
Ils venaient tous de New York. Quand ils étaient gosses, ils passaient leurs journées au coin des rues à chanter des trucs a capella, des harmonies, des doo-wop songs. Mais en fait, c’était des gars assez durs, des mecs de la rue. C’est pour cela que le son de leurs instruments était aussi costaud. Danny Whitten était surtout un grand chanteur, il me rappelait un peu Richard Manuel du Band, il avait ce genre de son dans la voix.
C’était une excellente voix à laquelle se confronter, c’était aussi un très bon guitariste, pas un soliste, plutôt un accompagnateur, mais vraiment excellent. Je pouvais jouer avec lui très facilement, on se sentait tout de suite bien. Franchement, cela se passe rarement comme ça, mais avec lui, c’était simple. Crazy Horse sans Danny, c’est un peu comme si les Stones perdaient Keith Richards. Voilà comment je voyais les choses à l’époque. Rien n’a plus jamais été comme avant.
“Quand je repense à mon enfance, beaucoup de choses sont floues”
Crosby, Stills, Nash & Young
Stephen Stills est venu chez moi pour me demander si je voulais me joindre au groupe. J’ai réfléchi, puis j’ai dit ‘peut-être’. A ce moment-là, ils n’étaient pas certains de vouloir ajouter mon nom aux leurs. Pour moi, il n’en était surtout pas question. Et puis finalement, ils l’ont utilisé : alors là, plus question de me dégonfler ! Mais je voulais pouvoir continuer Crazy Horse en même temps. Concrètement, j’enregistrais avec Crazy Horse le matin, aux Sunset Sound Studios ; ensuite, j’allais en répétition avec CSN&Y, j’y restais jusqu’au soir.
Je repassais chez moi avant de sortir en ville, puis je me couchais et recommençais le même train-train le lendemain. C’est à cette époque, en 1968, que furent écrites et enregistrées des chansons comme I Believe in You, Wonderin’, Oh Lonesome Me, ainsi que deux ou trois autres qui figurent sur After the Gold Rush. C’est aussi à cette époque que j’ai enregistré la première version de Helpless.
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Enfance
Quand je repense à mon enfance, beaucoup de choses sont floues. Un peu comme si ma mémoire avait rejeté les mauvais aspects. Je me souviens tout juste avoir eu la polio à 9 ans. Finalement, je revois surtout les bons moments, les magnifiques journées au soleil. Mais il n’y a rien d’étrange à cela : on a toujours tendance à préserver les meilleurs souvenirs – cela peut être utile lorsqu’on traverse une période difficile. Il y a des moments dans la vie où l’on doit se raccrocher à ces images du passé pour en tirer de la force.
https://www.youtube.com/watch?v=eJ9-3OMxf0k
Guitare
J’ai commencé directement par la guitare électrique. J’étais surtout influencé par Hank Marvin And The Shadows, Lonnie Mack qui avait écrit The Wham of That Memphis Man !. J’adorais aussi George Tomsco, le guitariste des Fireballs, et puis Link Wray. En fait, c’est lui le plus grand, tout en haut de ma liste. Vraiment, ces mecs-là ont tout déclenché en moi, ce sont les vrais pionniers de la guitare.
A l’époque, la musique surf arrivait tout juste, j’adorais ça : The Surfaris jouant Wipe Out, et puis Pipeline. Ensuite est arrivé Dick Dale. Il était plus chaud que les autres, moins sec. Lui aimait bouger, il y avait vraiment du swing dans sa musique. Sur Let’s Go Trippin’ par exemple, on n’entend que lui. Et le rythme est assez osé pour l’époque.
Humour
En fait, j’ai toujours pensé qu’il y avait un côté amusant dans ma musique. Mais personne n’a encore véritablement compris mon sens de l’humour ! Prends The Last Trip to Tulsa : voici ce que j’appelle une chanson très drôle, et ce n’est pas la seule.
“Quelque chose d’imprévu s’est passé dans ma vie : j’ai entendu Elvis Presley pour la première fois”
Métier
Au départ, je voulais être fermier. Je pensais entrer dans un lycée agricole, puis monter ma propre ferme. Je voulais élever des poulets – petit investissement et gros revenus ! Après ça, je serais passé au stade supérieur, une véritable ferme, complète. Je savais que je devais commencer petit pour monter les échelons un à un. J’ai pensé à tout cela très tôt – je devais avoir 10 ans. J’avais même acheté mes poulets et conçu un système de coopérative pour les commercialiser.
Mais, à ce moment-là, quelque chose d’imprévu s’est passé dans ma vie : j’ai entendu Elvis Presley pour la première fois. Et puis, en même temps que Presley, j’ai écouté Ronnie Self, The Chantels, toute cette musique à la fois étrange et séduisante que l’on captait à la radio dans les Etats du Sud, ainsi que sur CHUM, la station de Toronto.
Musique
Je me rappelle avoir beaucoup écouté Frankie Laine. C’était à la même époque qu’Elvis Presley. Nous ne manquions jamais la série télé Rawhide, ce truc sur le Far West dont Frankie Laine avait composé le générique. J’adorais toutes ces musiques de cow-boy, j’ai même repris l’une des chansons de Frankie Laine sur Old Ways, un morceau qui s’appelait The Wayward Wind et qui fut l’un de ses plus grands hits au Canada.
Quand j’étais gamin, je longeais tous les jours une voie ferrée pour rentrer de l’école, je passais tout près d’une cabane en tôle habitée par un clochard. Or, la chanson commençait par les mots “In a lonely shack by a railroad track” (“Dans une cabane paumée au bord de la voie ferrée”). Alors, tous les jours, je passais par là avec mon petit transistor collé à l’oreille et j’écoutais cette chanson. Si je n’avais pas mon poste, je l’entendais quand même dans ma tête.
Cette image et cette chanson sont toujours restées présentes dans mon esprit. Il y a une autre chanson que j’adorais et que j’ai fini par reprendre avec Crazy Horse et Jack Nitzsche au piano, c’est It Might Have Been, une sorte de valse country écrite par Joe London. Un tube énorme au Canada ainsi qu’en Angleterre, alors qu’aux Etats-Unis ce fut un bide. Un grand disque, avec une véritable profondeur d’âme. Malheureusement, j’ai complètement massacré le texte dans ma version.
Jack Nitzsche
Jack m’a énormément appris. Il avait déjà travaillé comme arrangeur avec Phil Spector et joué du piano en session avec les Rolling Stones. Je l’ai rencontré dans un club, juste au moment où Buffalo Springfield a commencé. Ce sont Greene et Stone, nos managers de l’époque, qui nous ont présentés.
Nous nous sommes tout de suite appréciés et, depuis, nous n’avons passé que de bons moments ensemble. Je le considérais comme un grand producteur et arrangeur, et j’aime toujours autant écouter ses idées. Et puis j’adorais traîner avec lui, parce qu’on lui envoyait toujours les nouveaux disques et qu’il passait beaucoup de temps à les écouter, assis chez lui, pour se faire sa propre idée.
A l’époque, il travaillait comme producteur indépendant, il avait vraiment la cote. Lorsque j’ai quitté Buffalo Springfield, j’ai habité chez lui, avec sa femme Gracia et leur fils Little Jack. On passait nos journées à écouter des nouveautés. Les 45t arrivaient par paquets, je me souviens en particulier du jour où nous avons reçu le premier single du Jimi Hendrix Experience. C’était bien avant le premier album. Nous sommes restés sur le cul, ce type avait un son tellement cru.
“Ma mémoire fonctionne davantage par flashes que par longs travellings nostalgiques”
Passé
Comme tout le monde, je suis équipé d’un petit rétroviseur personnel, mais on ne peut pas dire que je l’utilise énormément… J’y jette de simples coups d’œil, de temps à autre. Un morceau comme Buffalo Springfield Again est à prendre au premier degré : en quelques mots, il dit toute l’histoire. (…) Ma mémoire, qui est plutôt affûtée, fonctionne davantage par flashes que par longs travellings nostalgiques. Les souvenirs me visitent rarement : ce sont des amis qui restent sur le seuil de la maison, avec lesquels la conversation est brève et chaleureuse.
Eux et moi, on n’a plus rien à se prouver. Le passé, c’est comme une ville que vous avez traversée et que le temps a réduite en ruine. Vous pouvez toujours gâcher votre énergie à essayer de la retrouver : elle ne resurgira jamais du néant devant vos yeux. Mais votre esprit, lui, a imprimé les plans et les images : il peut vous aider à y retourner par l’imagination.”
Premier album solo
L’album en lui-même était très bon, mais ils m’ont fichu un nouveau procédé, le Haeco-CSG, sur les mixes originaux, et ça l’a tué. Le CSG, c’était ce truc de merde qui écrasait littéralement le son pour faire sonner la musique de manière identique, qu’elle soit enregistrée en mono ou stéréo. Nous avions tout enregistré à deux, Jack et moi, piste après piste. Certaines chansons datent de l’époque Buffalo Springfield.
Revolution Blues (1974)
Sacrée chanson ! Je me rappelle l’avoir jouée avec Crosby, Stills & Nash en 1974. Ils étaient terriblement gênés par le texte. Ils en arrivaient à se demander s’ils voulaient être sur scène avec moi lorsque je la jouerais. Alors moi, je leur disais : ‘Mais quel est votre problème ? C’est juste une putain de chanson ! C’est un texte sur la contre-culture, sur des trucs qui existent !’ Ils ne savaient plus où se mettre. Voilà pourquoi je me suis toujours davantage investi dans Crazy Horse que dans CSN&Y.
Silver & Gold (2000)
Dans la carrière de chaque musicien, il y a toujours un disque auquel les auditeurs se rattachent plus intimement. Alors voilà : je crois, pour moi, que c’est en train d’arriver avec cet album. Comme j’ai tendance à tout relativiser, je suis tenté de dire que ce n’est qu’un disque de plus, mais, en réalité, il me rend très heureux.
Cette qualité d’intimité tient aussi au fait d’avoir joué live en studio. J’aime ce feeling de groupe, cette chimie qui s’opère dans l’instant. Il y a un côté aérien, un son ouvert – un peu comme dans After the Gold Rush, qui avait été conçu dans les mêmes conditions. Quand j’écoute un disque, je veux entendre quelque chose qui arrive ; pas quelque chose qui sonne comme si ça arrivait.
Solitaire
Je suis une sorte de solitaire sociable. Il y a dans ma géographie musicale des recoins qui n’appartiennent qu’à moi. Par exemple, je n’imagine pas partager l’écriture des textes avec un autre : là, c’est chasse gardée. Mais ensuite, au moment d’enregistrer, je ne connais rien de plus agréable que d’entendre mes propres chansons mises en couleurs par des gens de confiance, des amis.
Propos recueillis par Nick Kent & Richard Robert
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