Pour son cinquième passage aux Inaccoutumés, Myriam Gournfink propose Too Generate, créée en juin dernier au Fresnoy, et jouée à Madrid, Armentières et New York dans des versions différentes. Entretien.
De pièce en pièce, quelle est votre préoccupation constante ?
Générer une danse, une chorégraphie, sans l’idée de la représentation, de l’image, mais avec celle de l’intériorité, de la perception subtile de mouvements intérieurs. Depuis Glossolalie, mon travail passe par l’écriture de textes de danse. Plus ça va, plus je formalise un langage qui est le mien, en m appuyant sur le langage Laban. Pour moi, c’est une langue, pas une notation. Ce qui me manque dans la danse, c’est un langage. C’est pour ça que j’ai fait des claquettes : on a un langage, des chiffres’
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Comment, à travers vos créations, en êtes-vous venue à éprouver la nécessité de créer votre langage chorégraphique ou gestuel ?
Dans ma première pièce, Beth, je cherchais comment un mot pouvait être à l’origine d’une danse. Dans Waw, je cherchais comment des phrases de danse écrites pouvaient devenir une chorégraphie tout en étant destructurées. Dans Glossolalie, je partais du principe suivant : si tout peut se chiffrer, comment chiffrer différentes phrases de danse ? Et, dans ce cas, pourquoi ne pas utiliser la notation Laban qui distingue huit dimensions : le support, le contact, l’adresse, la direction, le niveau, la rotation, la flexion, la distance. Dans sa notation, les éléments sont des parties du corps qui peuvent être évalués dans ces huit dimensions. L’intérêt, chez Laban, c’est qu’il ne fonctionne pas par contraintes. Or, ce que je trouve dommage dans les logiciels, type Lifeform, c’est qu’on est dans une analyse fonctionnelle du mouvement avec des contraintes. Evidemment, Merce Cunningham réussit à déjouer ces contraintes en l’utilisant à la façon d’un Brian Fernyhou avec la musique : en écrivant des partitions très complexes de façon à pousser l’interprète à la chute, à l’imperfection. Ce que traque Cunningham, c’est l’humanité. Quant au logiciel de William Forsythe, il est intéressant dans l’interaction en temps réel qu’il propose. J’ai alors eu envie de créer mon propre logiciel en 1999, LOL. Autant en musique, il en existe des centaines, autant pour la danse, on en a deux ou trois, à peine
Comment crée-t-on un logiciel de danse ?
J’ai travaillé et suivi une formation avec Frédéric Voisin, de l’Ircam. LOL est un logiciel très simple : c’est un tableau à deux entrées. D’un côté, on a des dimensions qui peuvent être les huit dimensions de Laban mais la liste n’est pas exhaustive et peut être complétée au gré des chorégraphies. Ensuite, on a besoin de paramètres pour ces dimensions. Par exemple, pour une flexion, on aura trois paramètres : petite flexion, flexion à angle droit et flexion maximum. La deuxième entrée concerne les éléments : soit des parties du corps ou quelque chose que j’imagine : découper mon corps en surfaces, créer des volumes (la moitié du buste, par exemple), choisir trois jambes gauches, ou même des chaises’ Il s’agit de créer un univers qui ne se rapporte pas forcément au corps mais à un environnement chorégraphique.
Au départ, le chorégraphe détermine son environnement. Puis il construit et agence à l’aide du tableau. Tous les éléments vont être évalués par les paramètres des dimensions. Ce tableau permet de faire toutes les opérations, et pas seulement de façon aléatoire. Par exemple, on peut faire des récursions, c’est-à-dire retourner en arrière.
En ce qui me concerne, la perception du mouvement passe par la pensée du mouvement. C’est pourquoi le yoga me convient parfaitement. Quand on utilise un logiciel pour écrire la danse, c’est tellement abstrait que ça permet de travailler autre chose que le corps. Pour ma prochaine chorégraphie, Taire, qui sera prochainement présentée au CND, je travaille avec une danseuse, Laurence Marthouret, qui sait lire la notation Laban. Diverses postures écrites dans le langage de Laban seront inscrites au sol et la danseuse se déplacera en lisant et inventant sa partition au fur et à mesure. Il s’agit essentiellement de lire le mouvement, sans se préoccuper de sa valeur esthétique : le mouvement sera lent, hésitant, très concentré. Pour Too Generate, j’ai choisi sur LOL des volumes, essentiellement, des pensées, des respirations, des regards, tout un réseau de points dans l’espace. Je me suis amusée à créer des situations qui relient des volumes corporels avec ces points dans l’espace qui sont comme une toile d’araignée. A moi de trouver les passages d’une situation à l’autre. Beaucoup de choses sont déterminées, d’autres fois, il n’y a rien, je suis livrée à moi-même. C’est un jeu entre une écriture très complexe et quelque chose de très libre : l’élasticité se crée dans le moment.
Comment le compositeur Kasper Toeplitz s’intègre-t-il dans ce projet ?
Kasper a créé un processus d’arborescence musicale : il joue de l’ordinateur. Au début, il jouait de la guitare électrique mais il a abandonné, c’était trop hors sujet ! La danse parle de quelque chose de plus ténu, de très concentré. C’est le mental qui soutient le corps, pas l’inverse. Jouer de l’ordinateur lui donne une gestique plus sobre.
La lenteur des mouvements dansés est-elle inscrite dans la partition de LOL ?
Non, la lenteur, c’est moi J’ai envie de me laisser autant de temps que je veux. De plus en plus, j’ai envie de paramètres à durées limitées, à la façon de Cage-Cunningham
Too Generate aux Inaccoutumés du 15 au 17 février, Ménagerie de Verre, 12-14 rue Léchevin, Paris 9e.
{"type":"Banniere-Basse"}