Sur son véritable premier album conçu avec Woodkid, le rappeur queer ne perd pas le groove mais lève le voile sur sa personnalité complexe.
Exploitant les possibilités du net pour canaliser sa créativité, abonné compulsif aux réseaux sociaux, Mykki Blanco semble posséder un don surnaturel : savoir tordre le temps à son avantage. En seulement cinq ans, il a publié un livre de poèmes et plusieurs maxis, mis en ligne trois mixtapes, tourné dans une petite dizaine de vidéos, changé de perruque et de look une quantité de fois. Acteur majeur du mouvement hip-hop queer, il a même déjà annoncé arrêter la musique avant de faire volte-face et d’enregistrer un premier album qui reflète sa personnalité complexe, tiraillée entre l’hédonisme et l’introspection, les drogues et les vertus de l’écriture.
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« La connaissance des livres, mais aussi celle de la rue »
Drôle et mélancolique, dansant et émouvant, Mykki constitue un véritable aboutissement pour Michael David Quattlebaum Jr., le trentenaire américain au parcours riche et chaotique qui s’est réinventé en rappeur hors catégorie. Dès l’école, il est confronté à l’adversité mais n’en gardera aucun traumatisme. “Oui, j’ai été agressé mais ça arrive à tout le monde, non ? Les enfants sont d’horribles personnes”, se marre l’intéressé. A la maison, sa mère le pousse à se surpasser.
“Elle me disait : ‘Je ne t’éduque pas pour que tu sois médiocre. Tu dois avoir plus que la moyenne, d’autant plus quand tu es noir. Il n’arrive rien de spécial aux gens normaux’.”
Michael va suivre ce conseil à la lettre. A 15 ans, il fonde un collectif de performeurs et, l’année suivante, fuit la maison familiale. “J’avais les connaissances des livres mais aussi celles de la rue.” A l’époque, il adule Madonna (“une force de la nature”) et aussi Kathleen Hanna, la rockeuse féministe de Bikini Kill et Le Tigre. “Toutes les choses que je détestais dans la société américaine, elle, elle les hurlait en musique.”
Il fréquente ensuite des écoles d’art qu’il abandonne à chaque fois. “On m’affirmait qu’il fallait d’abord apprendre les règles pour ensuite les casser, ce qui était faux.” Sous influence de Marcel Duchamp, il voit l’art comme une activité à la fois sérieuse et ludique. D’où l’irruption dès 2012 de Mykki Blanco : dans la peau d’une femme transgenre, il éructe de l’electro-punk noisy avant de sortir son premier tube hip-hop underground, Wavvy.
La sombre période de 2015
Hyperactif, Mykki Blanco ne cesse de tourner et d’enregistrer, jusqu’au gros coup de fatigue de juin 2015. Déprimé, il annonce alors être séropositif et, dans la foulée, affirme vouloir se reconvertir dans le journalisme. Sa déclaration aura un effet inverse : non seulement la respectable maison de disques !K7 lui propose de le signer et de l’aider à concevoir son véritable premier album, mais le Français Woodkid, croisé sur un festival irlandais, le contacte aussitôt par mail. “Il m’a écrit quelque chose comme : ‘Tu as trop de talent pour arrêter. Si ça te dit, je pourrais composer de la musique pour toi’.”
C’est ainsi que Mykki rejoint Woodkid à Paris, pour enregistrer sans pression.
“Nous étions très libres, on ne parlait pas du tout d’album. C’est après coup qu’on a construit des chansons à partir des idées que nous avions spontanément amenées.” Woodkid se souvient : “Mykki était très enthousiaste et les choses avançaient vite. On était ensemble dans la même pièce autour d’une bonne bouteille de vin, lui écrivait pendant que je lui proposais des suites d’accords associées à certains beats.”
Ces sessions débridées aboutiront au savoureux grand écart de Mykki, coproduit par Jeremiah Meece. Un morceau club tel que For the Cunts y côtoie des chansons plus profondes comme You Don’t Know Me, où Mykki revient sur sa peur au moment de rendre publique sa séropositivité. High School Never Ends, émouvant sommet de l’album raconte, sur fond de lutte des classes, l’histoire d’amour entre un dealer et un de ses riches clients.
“Beaucoup de gens me voient comme un fêtard décadent qui papillonne un peu partout, explique Mykki. J’ai voulu changer leur vision en intégrant des paroles personnelles. C’était assez inconfortable, mais ça a marché grâce à l’implication de Woodkid.”
« Mykki est plus qu’un nom de scène, c’est réellement moi.”
Le Français, lui, ne tarit pas d’éloges sur le rappeur.
“Sa voix peut prendre un million de formes différentes, Mykki est acteur et ça se ressent. Ses paroles sont remarquablement agressives et poétiques, comme celles de High School Never Ends, très touchantes et aigres à la fois. J’aime son paradoxe, c’est un garçon très viril et féminin, violent et tendre. Il déborde d’amour, les gens gagneront à découvrir cette facette.”
Quant à Mykki, le travail sur lui-même qu’il a réalisé l’a apaisé.
“Avant, on parlait de dédoublement de personnalité. Désormais, je n’ai plus besoin d’être ce personnage glamour. Mykki est plus qu’un nom de scène, c’est réellement moi.”
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