La coïncidence est trop flagrante pour ne pas conclure à l’enracinement d’une tendance. Depuis trois ans environ, plusieurs vedettes de la musique africaine se sont retrouvées à produire des albums où les instruments acoustiques, traditionnels ou non, ont été préférés à leurs homologues électriques et électroniques. Comme ce fut le cas pour les derniers enregistrements […]
La coïncidence est trop flagrante pour ne pas conclure à l’enracinement d’une tendance. Depuis trois ans environ, plusieurs vedettes de la musique africaine se sont retrouvées à produire des albums où les instruments acoustiques, traditionnels ou non, ont été préférés à leurs homologues électriques et électroniques. Comme ce fut le cas pour les derniers enregistrements de Baaba Maal, Salif Keita, Youssou N’Dour et Mory Kanté. Quelle différence avec un temps, pas très lointain, où le moindre disque de ces musiciens ne pouvait se concevoir sans synthé ou sans guitare électrique.
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Mais c’est la parution récente du Myamba d’Omar Pene qui rend ce changement de cap plus symptomatique et décisif encore. Omar Pene demeure l’un des grands modernistes de la musique sénégalaise, et ce depuis l’époque où la vox populi l’affublait du sobriquet, pourtant modérément engageant, de « Mick Jagger de Dakar ». Sa carrière en tant que leader du Super Diamono ? ses Rolling Stones à lui ? débute au milieu des années 70 avec le mbalax, musique urbaine élaborée à partir de la percussion traditionnelle saba et de la pop occidentale, qu’il va propager conjointement avec le Super Etoile de Youssou N’Dour.
En décembre dernier, le Diamono (« génération » en wolof) a fêté ses 30 ans d’existence, réunissant 200 000 personnes lors d’un concert où Omar a pu vérifier combien son image de rénovateur musical et d’agitateur de consciences demeurait valide auprès d’une jeunesse pourtant éprise de rap. Ce phénomène tient en partie à cette liberté de parole, préservée malgré la quarantaine, les honneurs et la respectabilité dont il jouit désormais. Pene, qui n’a rien oublié des difficultés surmontées pendant son enfance à Pikine, banlieue populaire de Dakar, assume aujourd’hui sereinement, et sans paternalisme, un rôle de « grand frère ».
Ceux qui en France ignorent tout d’Omar Pene pourront mieux apprécier sa singulière aura, et concevoir les talents de bonne fée du désespoir social qui s’y rapporte, après avoir écouté Myamba. Ce disque est le fruit d’une collaboration avec le producteur français Olivier Bloch Lainé. Il a été enregistré dans un studio du Val-d’Oise avec certains des musiciens du Super Diamono, dont le guitariste Mamadou Conaré, noyau auquel sont venus se greffer quelques intervenants extérieurs, comme le percussionniste argentin Minino Garay. Il propose une relecture acoustique de plusieurs chansons qui ont contribué à établir la réputation du groupe au Sénégal, comme Saï Saï, Moudjé ou Soweto, ici retitré Mandela.
Dans Woudjou Yayé, Omar évoque la polygamie, problème auquel il est particulièrement sensible, puisqu’à l’âge de 13 ans il a dû fuir le foyer familial, où régnait une marâtre peu empressée de lui témoigner la moindre affection. Si la production s’est autant attachée à mettre en valeur sa voix, c’est précisément pour rendre plus audible encore sa sincérité blessée, de mettre en lumière le mariage inouï entre la souplesse harmonique de sa texture et la densité humaine qu’elle entend charrier. Ainsi, chacune de ces dix chansons pénètre le cœur d’une douleur particulière : l’exil des hommes, l’abandon des femmes, mais surtout la misère et le manque d’estime de soi ressenti par chacun. Eclairé par cette instrumentation afro-folk, ce chant exerce mieux qu’il ne l’avait fait auparavant ses vertus apaisantes de baume collectif. Réfugié sous l’humble vérité de l’acoustique, il n’a jamais paru aussi proche des préoccupations de la rue sénégalaise, et jamais semblé aussi universel.
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