Avec ses faux Cubains, le plus éclectique des guitaristes new-yorkais signe le deuxième épisode épicéde ses aventures exotiques. Cubano-punk Marc Ribot est un dandy paradoxal, à l’élégance d’autant plus insistante qu’elle se fonde sur une singulière discrétion. Un séducteur imparable marquant de sa troublante présence en creux la moindre de ses collaborations. Un nihiliste postmoderne, […]
Avec ses faux Cubains, le plus éclectique des guitaristes new-yorkais signe le deuxième épisode épicéde ses aventures exotiques.
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Cubano-punk Marc Ribot est un dandy paradoxal, à l’élégance d’autant plus insistante qu’elle se fonde sur une singulière discrétion. Un séducteur imparable marquant de sa troublante présence en creux la moindre de ses collaborations. Un nihiliste postmoderne, fer de lance du mouvement no-wave new-yorkais gravitant depuis les années 80 autour de la Knitting Factory (John Zorn, les Lounge Lizards, Arto Lindsay), capable de remiser apparemment son ironie dévastatrice pour se mettre au service de songwriters parmi les plus raffinés ou décalés (d’Elvis Costello à Tom Waits en passant par Jean-Louis Murat), sans jamais rien renier de ses partis pris esthétiques ni de son ineffable étrangeté. En un mot, quel que soit le contexte, Ribot a du style, un ton une manière d’antivirtuosité savamment cultivée avec ce quelque chose de tranché dans l’attaque des notes, d’abrupt dans le phrasé, de brut dans le son, malade, noisy, distordu et, dans le même temps, une infinie sophistication larvée au cœur de cette somptueuse nudité, faite d’harmonies dissonantes aux éclats précieux.
Malgré cet éclectisme affiché, cette façon de traverser styles et genres avec distance et nonchalance, le guitariste a surpris son monde, il y a deux saisons, en enregistrant un disque détonant entièrement consacré aux chansons immortelles du compositeur cubain Arsenio Rodriguez, virtuose du tres, superstar incontournable du continent latino au tournant des années 50. Ceux qui s’attendaient à une ultime provocation de Ribot, ostentatoirement sans attaches (son groupe à l’orée
des années 90 ne s’appelait-il pas de façon programmatique Rootless Cosmopolitans ?), à remonter consciencieusement ainsi aux sources du son cubain, en furent pour leurs frais. Et, à l’arrivée, si la musique surprenait, c’était bien par sa singulière « orthodoxie ». Entre orchestre baloche virtuose dans le minimalisme et improbable dispositif conceptuel, Los Cubanos Postizos rendaient un hommage vibrant à la tradition latino-américaine, en prenant soin de jouer le jeu dans les règles de l’art.
Aujourd’hui, Ribot récidive. Dans le même esprit. Amoureux. Entre-temps, le groupe a mûri, à se produire régulièrement à la Knitting Factory. L’équipe s’est étoffée : Anthony Coleman, aux claviers, a intégré la formation, quelques icônes underground comme Eszter Balint (héroïne opaque du Stranger than paradise de Jarmusch) se sont greffées au projet mais le résultat garde cette fraîcheur d’inspiration, cette fausse naïveté qui faisaient le charme du précédent opus. Avec toujours, au cœur de ces interprétations, sans qu’on sache très bien où elle se niche, cette distance, qui n’est pas de l’ironie ni vraiment du maniérisme simplement quelque chose d’impalpable qui a à voir avec l’indescriptible étrangeté qu’engendre toujours la déterritorialisation d’un idiome. C’est dans cette douce violence amoureuse faite à la tradition que réside tout le charme de cette musique.
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