Annoncé comme une parenthèse par Beck, Mutations est pourtant un chef-d’oeuvre. Encore un.Le morceau le plus impressionnant du sixième album de Beck album lui-même impressionnant d’un bout à l’autre s’intitule Diamond bollocks. Oui : Couilles en diamant. Il s’agit d’une espèce de mini-soundtrack pétaradant comme du John Barry (pour les diamants éternels) acoquiné […]
Annoncé comme une parenthèse par Beck, Mutations est pourtant un chef-d’oeuvre. Encore un.
Le morceau le plus impressionnant du sixième album de Beck album lui-même impressionnant d’un bout à l’autre s’intitule Diamond bollocks. Oui : Couilles en diamant. Il s’agit d’une espèce de mini-soundtrack pétaradant comme du John Barry (pour les diamants éternels) acoquiné aux Sex Pistols (pour les bollocks) dans un prochain James Bond expérimental tourné avec des lunettes-caméra dont Joe Meek aurait trafiqué les focales. Bref, c’est du Beck pur jus. Le second morceau le plus impressionnant, Tropicalia, est une samba délicieuse où l’on croirait entendre un Barry Adamson méchamment à la coule qui aurait emballé tout le harem de Sergio Mendes. C’est encore du Beck, pur jus exotique cette fois.
Le songwriter américain le plus important de la décennie est ce jeune homme encore duveteux et épais comme un amour de vacances, mais c’est en réalité un mutant. Mutations n’est pas un titre hasardeux. A chaque album, son empreinte génétique prend des tournures encore mal répertoriées dans nos grimoires. On ne plaisante pas : Beck fout la trouille. Tant de dons additionnés ne peuvent pas, rationnellement, cohabiter dans un cerveau humain de proportion normale. Comme ça, Mutations n’a l’air de rien : juste un petit disque alternatif dans la discographie officielle, un exercice qualifié de parenthèse par son auteur en attendant le vrai successeur d’Odelay programmé pour l’an prochain. Pourtant, Mutations n’est pas un album de folk-songs torsadées et malingres, pas même un caprice expérimental d’une star pouvant s’offrir le luxe d’emmerder la galerie. C’est au contraire une collection de chansons soignées, écrites au cours de la dernière tournée et déroulées sans accroc au printemps qui suivit en compagnie du même groupe que sur scène. On reconnaît au passage les claviers tournicotants, cabriolants et gazouillants de Roger Manning (Mr Moog Cookbook), mais ce sont les seules machines à s’être vu autoriser l’entrée du studio. Aucun sample, pas le moindre beat hip-hop, l’électricité en veilleuse, c’est cette fois une flottaison d’instruments tamisés qui enrobent, calfeutrent, effleurent et arrondissent aux angles ce que Beck avait de plus délicat dans son immense panoplie.
On ne l’avait encore jamais vu ainsi, en tout cas pas en même temps : en crooner folk doté d’un flegme mexicain (O Maria), en Ray Davies titubant sous une valse d’étoiles au sortir d’un bal perdu (Sing it again), en Donovan faisant Dylan faisant l’âne (Cold brains), en countryman décontracté (Canceled check), en roucouleur de toutes les couleurs pourvu qu’elles soient chatoyantes. Surtout ne pas se fier à l’un des titres, Dead melodies, sacrément trompeur puisque Mutations est de loin l’album de Beck qui carillonne le plus facilement à l’oreille, le plus rapide à apprendre par coeur et à siffler sous la douche, le plus (osons le mot) pop. Comme si le plasticien performer touche-à-tout de Mellow gold et Odelay s’était cette fois astreint à reprendre fusains et gouaches et à ne jamais déborder du strict cadre bidimensionnel des chansons : juste pour (se) prouver qu’en toute discipline et même quand la discipline est comme ici draconienne il peut prétendre aux plus hautes marches. Mutations n’est peut-être qu’une parenthèse, mais cette parenthèse nous ouvre en grand ses bras douillets, nous réapprend à respirer l’écume douceâtre et profonde des veillées à la fraîche, à écouter les mouches voler en planeur (Lazy flies), à siroter du bon temps. C’est même l’un des disques les plus accueillants qu’on n’ait jamais entendus. Surtout de la part d’un mutant.
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