Algérie, chant épique. Le chant algérien est l’expression poétique de l’histoire du pays. Seul face au malheur. “Malheureux comme une herbe”, disait de lui-même le pseudo Ahmed dans son ouvrage intitulé Une Vie d’Algérien, est-ce que ça fait un livre que les gens vont lire ? (Paris, 1973). Ce rythmique bouquet de chants algériens, est-ce […]
Algérie, chant épique. Le chant algérien est l’expression poétique de l’histoire du pays. Seul face au malheur.
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« Malheureux comme une herbe », disait de lui-même le pseudo Ahmed dans son ouvrage intitulé Une Vie d’Algérien, est-ce que ça fait un livre que les gens vont lire ? (Paris, 1973). Ce rythmique bouquet de chants algériens, est-ce que cela fait un disque que les gens vont écouter ? La question sonne aujourd’hui autrement. Voyons plutôt. La vie de ces chanteurs est indissociable de celle du pays : Idir Il vivra comme Aït Menguellet, qui respectivement ouvre et ferme cette heure de mélopée dans un sanglot tout chargé d’adieux, parlent le berbère ou tamazight : la langue des hommes libres. Mais la chanteuse Chaba Zahouania a reçu l’an passé une lettre accompagnée du savon qui lave les morts. Matoub Lounès fut enlevé le 25 septembre 1994 avant de revenir au pays des vivants : son dernier album s’intitule Kenza, du prénom de la fille de Tahar Djaout, écrivain assassiné le 2 juin 1993 à Alger. Cheb Hasni est l’interprète de la chanson Visa : « Comment rejoindre mon aimée Marseille sans visa ? ». Absent de ce disque, Ferhat était otage parmi les otages dans l’Airbus retenu à Marseille en décembre dernier : lors de son concert en mars dernier à Montreuil, il choisit de reprendre Le Déserteur, en kabyle. Qu’est-ce que ça fait la voix d’un mort parmi les vivants ? Cheb Hasni fut assassiné à Oran le 29 septembre 1994 chantant le raï-love pour l’éternité. Et Khaled, présent avec deux chansons : s’il a quitté son titre de cheb (jeune), ne serait-ce pas que la fin de la jeunesse rime avec l’entrée dans une histoire sans style, la guerre ?
Raï venu d’Oran adresse du public au poète qui signifie « Va, dis » , mais aussi, en remontant au fil de ces chansons le temps, haouzi de Tlemcen ou chaâbi algérois, jusqu’au malouf arabo-andalou, avec flûte (gasba ou jonwak), cithare (kanoun) et luth (oud), mais aussi tambour (târ) et percussions (derbouka) ce sont des chants de mélancolie et de vigueur. La voix, sa fonction sublime de berceuse, arrimée au désir de révolte. Epique, car en chantant devant le malheur le plus terrible ces gens d’Algérie se donnent confiance. Mieux : en s’accordant libre cours (yusr), ils ouvrent par le chant une autre histoire pour ce pays. On peut donc écouter ici les voix rassemblées d’Algérie. Mais ne doit-on pas aussi déclarer au sujet des Algériens et contre la loi française : « Nous les avons hébergés, nous les hébergerons, tant que leur vie sera en danger ? » Reinette l’Oranaise, chanteuse à la voix rauque, rappelle qu’il y a longtemps, ce sont les femmes qui chantaient et les hommes qui dansaient, chastes et érotiques, voilés.
Musiques d’Algérie, (Blue Silver/Télérama)
Hadrien Laroche
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