Habile de ses oreilles quand il dirige l’audacieux label Pussy Foot, Howie B l’est aussi de ses mains quand il collabore avec Massive Attack, Björk, Tricky ou U2. Alors que sort son passionnant album solo Music for babies, rencontre avec une tête aussi joueuse que chercheuse. Soul II Soul, Massive Attack, Björk, Tricky, Passengers : […]
Habile de ses oreilles quand il dirige l’audacieux label Pussy Foot, Howie B l’est aussi de ses mains quand il collabore avec Massive Attack, Björk, Tricky ou U2. Alors que sort son passionnant album solo Music for babies, rencontre avec une tête aussi joueuse que chercheuse.
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Soul II Soul, Massive Attack, Björk, Tricky, Passengers : est-ce un hasard si l’on retrouve systématiquement Howie B derrière les grandes expériences musicales novatrices de ces dernières années ? En tant qu’ingénieur du son, producteur, mixeur, DJ, artiste ou label manager, il y a toujours chez lui un côté révolutionnaire de l’ombre : Howie B ne court pas après les feux de la rampe, totalement inculte dans l’art très anglais du calcul, de l’arrivisme et de la compromission. Mais à force de construire piédestals et écrins luxueux pour les autres, le petit Ecossais a fini par ressentir la nécessité de s’exprimer totalement, sans interférences. Le déclencheur fut la naissance de sa fille Chilli il y a bientôt deux ans. Plus qu’un grand bonheur, une secousse tellurique intime qu’il a voulu mettre en musique : ce sera le concept-album Music for babies, clin d’œil à peine voilé aux laboratoires Music for films ou Music for airports d’un autre de ses prestigieux employeurs, Brian Eno. « Je souhaitais partager mon excitation d’être père et d’avoir un enfant merveilleux. Tout ce que je fais depuis la naissance de Chilli lui est dédié, elle est mon moteur et ma principale source d’inspiration. »
Contrairement à ce que pourrait laisser penser son titre, ce disque atmosphérique n’est pas un outil d’éveil à l’usage exclusif des bambins et ne sample ni percussions de biberons, ni rythmes de hochets, ni gazouillis enfantins. Il ne s’agit pas non plus d’une œuvre foncièrement optimiste et béate. Car la paternité aura déclenché une explosion d’émotions contradictoires chez Howie B, se révélant par-là même un sacré casse-tête psychologique. « A la naissance de Chilli, je me suis retrouvé animé d’une foule de sentiments confus et disparates : j’éprouvais de la jalousie vis-à-vis de la mère de ma fille, de la frustration de ne pas avoir porté Chilli en moi, de ne pas pouvoir la nourrir au sein, je souffrais d’en être séparé durant mes déplacements, je ressentais de la peur et je débordais de bonheur tout à la fois. C’était peut-être une démarche un peu nombriliste, mais j’ai tenté d’exprimer tous ces sentiments grâce à un loop de piano, un groove de batterie ou juste une atmosphère. »
On aura beau chercher, on tentera d’abord en vain de trouver un repère connu auquel s’accrocher dans ce disque jamais facile, dans cette poésie sonore. Des mélodies spatiales et minimalistes déroutent les sens avant de faire doucement leur chemin en profondeur, avec un tact et une élégance inouïs. Mais ces trouvailles hypnotiques se méritent : elles réclament patience, ténacité et paradoxalement une certaine dose de distraction.
La révélation est à ce prix. Car l’interactivité, une notion essentielle pour cerner le travail d’Howie B, ne fonctionne que lorsque l’auditeur laisse son esprit vagabonder. Pour comprendre le principe, souvenez-vous des figures abstraites du Magic Eye (L’œil Magique), dont les images en trois dimensions finissent par s’imposer non pas lorsque le mental cherche à tout prix à atteindre la vision promise mais lorsque le regard se noie doucement dans le flou. Dès lors, l’auditeur perçoit à quel point Howie B sait exprimer l’indicible avec une nuance et une grâce inégalées, comme sur ce How to suckie capable d’évoquer avec humour et tendresse le tâtonnement du nourrisson, sa vulnérabilité, sa gloutonnerie, son abandon confiant et son éveil à la vie. « Je crée des atmosphères. On peut baptiser ces climats de paysages sonores mais alors il s’agit de paysages mouvants, qui évoluent en permanence. Rien de figé ou d’achevé : ce ne sont pas des paysages matériels mais des paysages de l’esprit, que l’auditeur crée lui-même. Je conçois la musique comme un art interactif : je crée les bases du paysage, à l’auditeur de bâtir autour. L’important n’est pas l’analyse cérébrale qui peut être faite de la musique mais la réaction instinctive à l’écoute, les images qu’elle évoque, les sentiments qu’elle suscite, fussent-ils source de malaise, de bien-être ou de confusion. »
Avec Music for babies, Howie B refuse poliment toutes les cartes de membre des clubs où il serait si commode de l’enfermer, y compris celui du trip-hop. Les breaks & beats ne constituent pas la matière première de Music for babies : le titre qui ouvre l’album n’est bâti sur aucun beat, le rythme venant d’ailleurs, du souffle et de la dynamique de l’agencement sonore. Inédite et inclassable, cette magie doit autant aux silences qu’au hasard et à la réappropriation active des erreurs. « Le hasard est fabuleux. Mes meilleures compositions lui laissent une grande place. Ce peut être un bruit non prévu, une harmonie qui se fait toute seule. Il y a aussi beaucoup de silence dans mes morceaux. Je travaille à l’épure et au bout du processus, le silence peut prendre toute la place. Son pouvoir est primordial : trop d’ingrédients obscurcissent l’essentiel. » Pour ce travail d’introspection, Howie B s’est exilé quinze jours en Espagne. « J’ai d’abord travaillé une semaine en studio avec deux amis qui m’ont aidé à la programmation puis j’ai filé délibérément tout seul en Espagne avec mes cassettes, dans un studio niché à flanc de montagne avec vue sur la mer le soir, on pouvait apercevoir l’Afrique à l’horizon. J’étais équipé de matériel basique, rien de sophistiqué, parfait pour construire de la musique simple. Je n’utilise pas d’instruments live, il s’agit de manipulation pure, de trafic de sons : avec un rire ou des pleurs, on peut composer une symphonie. La campagne m’inspire davantage que la ville. D’ailleurs, je finirai sans doute fermier : si je trouve un beau terrain en Irlande, en Ecosse ou en Espagne, il se pourrait que j’arrête la musique. Il m’a donc semblé naturel de m’immerger dans la nature pour effectuer ce retour sur moi-même. Je suis un solitaire et je me laisse délibérément affecter par l’environnement. C’est presque un travail de lâcher prise, je n’essaye pas de contrôler à tout prix, je ne sais pas toujours précisément où je vais. Le travail consiste à limiter au maximum l’écart entre ma musique et moi, à m’investir totalement dans l’instant présent. C’est ma façon d’avancer : je cours constamment après la magie du neuf, du jamais entendu. »
Les premiers souvenirs musicaux d’Howie B sont empreints d’un éclectisme déterminant pour sa conception grand-angle, libérée, de la musique. « Enfant, j’étais fasciné par la radio. J’adorais tourner les boutons, zapper de station en station. Je voulais la contrôler, en comprendre le fonctionnement et les mystères : comment diable des gens parlaient-ils dans le poste, pourquoi tant de stations cohabitaient-elles sur un même engin ? Ensuite, je me suis plongé dans la collection de disques de mon père un plombier qui écoutait tout à la fois Led Zeppelin et Billy Cobham, Donovan et du folk écossais. Puis j’ai découvert l’émission de John Peel, dont la sélection était aussi très variée. Vers 12 ans, j’ai commencé à faire mes propres cassettes avec les disques de mon père, en utilisant le bouton de la pause : ce furent mes premiers pas actifs dans la musique. La musique était devenue ma passion : acheter des disques, repérer les noms au dos des pochettes, suivre les cheminements des producteurs et des artistes et engranger toujours de nouveaux sons. J’étais dans le punk, puis après le metal, le reggae, le jazz, le jazz-rock, le hip-hop. Mais je n’abandonnais jamais un genre au profit d’un autre, je conservais toujours l’acquis. » Parti tenter sa chance à Londres vers 20 ans, il fait son éducation dans un studio de musiques de films. Ou comment servir des tasses de thé à longueur de journée débouche sur l’art de travailler les atmosphères musicales instrumentales pour lesquelles il est aujourd’hui si doué. « C’est là que j’ai le plus appris, entre deux tasses de thé, sur la puissance évocatrice de la musique : comment communiquer la peur ou souligner le suspense, sans prononcer un seul mot. » Viendront ensuite les collaborations avec Nellee Hopper aux premières heures de Soul II Soul, la rencontre, vers 1987, avec la Wild Bunch de Massive Attack qui vient le solliciter, puis Björk, dont il enregistre une bonne partie des deux albums solo, et enfin la production de Ponderosa et Aftermath, les premiers singles dévastateurs de Tricky. « C’est toujours une histoire de vibrations et d’amitié à la base, je n’ai jamais collaboré avec des artistes par l’intermédiaire des maisons de disques, qu’ils aillent se faire voir. »
Un esprit farouche d’indépendance qui le pousse, il y a trois ans, à monter son propre label, Pussyfoot, « un tremplin pour différents artistes, y compris moi-même, encore une histoire d’amitié sans visées commerciales pour se moquer du manque d’audace des majors ». L’an dernier, Bono de U2 le sollicite pour son projet de nouveau supergroupe, The Passengers, avec lequel Howie B signe un titre, Elvis hates America. Une collaboration qui vaudra surtout pour la rencontre avec son père spirituel, le gigantesque Brian Eno. « Eno est une très grande influence. My life in the bush of ghosts, qu’il avait enregistré avec David Byrne des Talking Heads, est l’un des plus grands albums de tous les temps. Eno a réalisé des choses extraordinaires avec Bowie et Robert Fripp. Il a enregistré les sons les plus obscènes et les plus beaux jamais créés par l’homme. Ça a été une expérience très enrichissante d’être à son contact, d’approcher de près son processus créatif. J’ai beaucoup appris : il a une façon de travailler étonnante, différente de tout ce que je connaissais auparavant et à laquelle je n’aurais jamais pensé. Avoir l’occasion de lui faire écouter Music for babies a été un très grand honneur, presque irréel. » Aujourd’hui, Howie B reprend du service auprès de Bono : il travaille sur le prochain album de U2 avec Nellee Hopper. « Le courant passe bien, nous rions beaucoup. Je me pointe avec mes platines et je jamme avec eux. Que des grands artistes comme Bono ou Eno puissent être bouleversés par ce que crée un DJ est bon signe. Signe que les mentalités évoluent : le grand malentendu selon lequel le DJ n’est pas un musicien commence à s’effriter. Ça fait treize ans que je suis dans la musique sans jouer d’un autre instrument que mes platines ou mes consoles et je me considère comme un musicien à part entière. Mais il y a encore du chemin à parcourir pour faire reconnaître l’art du DJ. Cela dit, je n’arrive pas à savoir pourquoi tant de gens veulent collaborer avec moi. Peut-être parce que j’ai une chouette coupe de cheveux. Non, allez, j’avoue : je fais de très bonnes omelettes. »
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