Dotés d’un solide bagage classique et d’un béguin pour la pop des Beatles et d’Elliott Smith, trois jeunes Français livrent un premier album au songwriting impressionnant. Revolver, arme de séduction massive.
Les marques de sport et boîtes de communication en seront pour leurs frais : elles ne trouveront chez les trois jeunes membres de Revolver rien qui puisse alimenter leurs besoins de coolitude, aucun tube ou jean slim pour égayer une campagne de pub de téléphone portable. Ambroise, Jérémie et Christophe ont peu à voir avec la nouvelle scène pop de la capitale et se sont rencontrés loin des bars et des petits festivals parisiens : entre les bancs du lycée et ceux de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ça ne les a pas empêchés de composer le plus remarquable album pop entendu cette année en France – à un niveau mondial, il viendrait talonner le second disque de Coconut Records. “Jérémie et moi nous sommes rencontrés à la maîtrise de Notre-Dame de Paris à l’âge de 6 ans, explique le chanteur Ambroise. C’était une formation de chant choral très intensive : classe le matin et musique l’après-midi, avec des cours de chant lyrique, sacré ou profane. Des années plus tard, j’ai commencé à apprendre la guitare avec Christophe et on a cherché un partenaire. J’avais été marqué par une audition de Jérémie : il avait joué un concerto de Haydn au violoncelle. Il y a ce moment qu’on appelle la cadence, où le soliste improvise : c’était assez délirant, il y avait du larsen, ça faisait plus penser à Hendrix qu’à Haydn. Je le lui ai dit, il ne voyait pas qui c’était.”
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Revolver a beau afficher une moyenne d’âge de 24 ans, le groupe est donc déjà riche d’un double héritage, faisant se côtoyer sa connaissance de la musique classique et une culture plus pop découverte avec les Beatles (auxquels le nom du groupe fait écho), les Beach Boys ou Simon & Garfunkel – deux univers dont les amoureux de Crosby, Stills, Nash & Young savent bien qu’ils se sont régulièrement croisés, et que les jeunes Français ont habilement réunis sous le sobriquet de “pop de chambre”. “Ce n’est pas nouveau : si on regarde l’écriture des chansons de Simon & Garfunkel, on sent l’influence de la musique de la Renaissance. Dans leur premier album, ils reprennent même un Benedictus standard des années 1500 à deux voix. Les nuances, les quintes, les pianissimos qu’on peut y déceler, tout ça est proche de l’interprétation dans la musique classique.”
Résultat de cette double influence, Revolver pourrait bientôt souffrir du syndrome de premier de la classe, parachuté dans une scène indie française dont le quart des membres ont appris la guitare après avoir créé une page MySpace et dans laquelle on salue plus souvent l’héritage lo-fi ou l’art de bricoler. Or, de l’inaugural Birds in Dm au formidable It’s Alright qui vient conclure le premier album des Français, Music for a While repose sur un songwriting d’orfèvre racé, soigné et esthète, mais sans jamais donner à celui qui l’écoute l’impression d’assister à une démonstration de virtuosité. “La musique classique nous a appris un respect, une attitude d’humilité par rapport à notre travail. Tous les artistes qu’on aime sont des gens qui travaillaient énormément. C’est vrai qu’on se sent un peu à part parce qu’on parle de musique bizarrement… On doit passer pour des mecs prétentieux lorsqu’on parle d’harmonies, etc. Mais on a vraiment étudié le sujet, donc on appelle une quinte une quinte. Après, lorsqu’on a passé beaucoup de temps à réfléchir à pourquoi la musique est belle, ce n’est pas évident de créer quelque chose. Il faut savoir redevenir un peu inconscient. Garder une énergie spontanée, faire un premier jet et, dans un deuxième temps, voir si ça vaut le coup.”
Magnifié par une production épatante signée Julien Delfaud (Phoenix, Herman Dune), Music for a While vaut le coup pour au moins trois aspects : sa ribambelle de mélodies en cascade (le mini chef-d’oeuvre Balulalow ou A Song She Wrote, comme ressorti d’un vieux carton des seventies), le timbre de voix, sombre et limpide, qui évoque par moments Stuart Staples des Tindersticks (Do You Have a Gun?) et, surtout, la subtilité des choeurs et des harmonies, d’une richesse rarement entendue depuis Elliott Smith. “Nos études nous ont éveillés à l’amour du chant en choeur. Quand on chante tous les trois dans une pièce, on recherche cette boule qui se crée lorsque les trois voix se rassemblent. On retrouve ce principe chez Elliott Smith, car il doublait ses voix. C’est un peu triste de penser qu’il devait vivre ça seul. Chanter à trois, c’est physiquement agréable… Elliott Smith a joué un rôle primordial pour nous. C’est passionnant de voir comment il a pu, avec l’influence des Beatles, continuer à faire de la musique. C’est hyper intimidant d’avoir les Beatles en tête quand on commence la musique, on se dit qu’on n’y arrivera jamais. Avec Elliott Smith, il y a quelque chose de plus accessible, plus proche dans le temps. Ça a été libérateur de découvrir sa musique. C’est lui qui nous a réellement donné envie de composer des chansons.” Une raison de plus de remercier l’ami Elliott : même au ciel, il continue à faire des miracles.
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