A l’école du groove. A vouloir opérer la synthèse des musiques noires américaines, Marsalis en dilue leur pouvoir de subversion. Lorsqu’en 1994 Branford Marsalis sort le premier disque, éponyme, de Buckshot LeFonque, l’emprunt ironiquement détourné du pseudonyme utilisé en 1958 par le saxophoniste alto, Cannonball Adderley (Buckshot La Funke), laisse clairement entendre une filiation spirituelle […]
A l’école du groove. A vouloir opérer la synthèse des musiques noires américaines, Marsalis en dilue leur pouvoir de subversion.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Lorsqu’en 1994 Branford Marsalis sort le premier disque, éponyme, de Buckshot LeFonque, l’emprunt ironiquement détourné du pseudonyme utilisé en 1958 par le saxophoniste alto, Cannonball Adderley (Buckshot La Funke), laisse clairement entendre une filiation spirituelle et son actualisation formelle. Une façon subtile pour Marsalis de présenter son projet à savoir : rendre compte de la vitalité et de la diversité de la musique populaire noire américaine du point de vue du jazz dans l’implicite d’une parenté directe entre le jazz funky des années 50/60 et les formes les plus contemporaines de la culture noire populaire. Autrement dit, un album qui sous ses allures débonnaires et décontractées (une pause dans la stricte production jazz du leader) prend une dimension quasi pédagogique. Ce deuxième disque, Music evolution, est le prolongement direct du précédent un catalogue des différents genres qui font la musique noire, unifié par la vision historiciste et globalisante de Marsalis. On passe ainsi suivant les plages de croisements respectueux entre jazz et rap, militant sous forme d’hommage aux grands anciens (Armstrong, Calloway) pour la reconnaissance de leurs liens de parenté, à une évocation du Godfather, James Brown part 1 & 2, où Marsalis rivalise d’effets funky avec David Sanborn, invité de luxe, en passant par une trilogie de ballades R & B interprétées par le chanteur Frank McComb ou encore la réappropriation des rythmes jungle venus d’Angleterre…
On grappille çà et là quelques bonheurs, d’autres fois on est moins convaincus ce type de disque d’une certaine manière résiste à la critique. Mais pas le concept qui le sous-tend. On comprend bien le propos de Marsalis, sa visée identitaire étayée sur un effort de mémoire et de mise en perspective historique réinstaurer une continuité dans le grand morcellement des genres pour à la fois ouvrir le jazz à un nouveau public, plus jeune, et légitimer les formes les plus populaires de la musique noire à l’aune de sa sophistication dans un beau mouvement cuménique. Mais n’est-ce pas paradoxalement la richesse même de cette musique (l’intelligence de ses agencements, la finesse des arrangements) qui en marque la limite ? Cette superproduction nie en quelque sorte le caractère anonyme, mineur, de ces arts de la rue, de ces « arts pauvres », atténue leur force brute, une certaine naïveté où réside leur pouvoir de subversion. Il y a dans cette « régression » vers un en-deçà des genres, où se trouverait un territoire commun, une sorte de réassurance communautaire qui va à l’encontre de la créativité, et aboutit à une musique moyenne, médiocre. Ça frise la récupération institutionnelle, un peu comme exposer des graffitis reconstitués dans les musées…
Buckshot LeFonque, Music evolution (Columbia/Sony)
{"type":"Banniere-Basse"}