Iconoclaste et surdoué, le pianiste Yaron Herman traque la muse sur son nouvel album. Portrait.
Il y a là les ingrédients d’un beau scénario : un jeune homme de quinze ans et demi, désireux d’apprendre le piano, rencontre un professeur aux cheveux blancs, aux préceptes assez mystérieux. Attiré par le magnétisme de son maître, prêt à s’investir comme un moine dans sa nouvelle passion, Yaron Herman devient en quelques années seulement, dans une trajectoire fulgurante, l’un des virtuoses de la scène jazz. Son talent éclate aujourd’hui sur des standards, des compositions et des reprises de Björk, comme sur son dernier enregistrement, Muse, inventif et brillant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Fou de basket, sélectionné dans l’équipe des moins de seize ans d’Israël en 1996, le jeune Yaron Herman (né en 1981) doit renoncer au sport la mort dans l’âme, à cause d’une blessure qui entraîne convalescence et fin d’un rêve. « J’étais désemparé. Je me suis mis en tête d’apprendre à jouer du piano. Jusque-là, j’écoutais ce qui passait sur MTV, la pop des années 80, de la house. Une discussion avec une amie de ma mère, dans les allées d’un supermarché, m’a guidé vers un homme à l’origine de toute mon histoire ». Yaron Herman vit alors à Even Yehuda, un village proche de Tel-Aviv.
Le premier rendez-vous avec cet enseignant, Opher Brayer, est étrange. L’homme l’accueille dans son sous-sol aux murs tapissés de livres, le fait asseoir, le regarde longuement. Puis demande : « Joue-moi quelque chose. » « Je ne savais rien faire, alors j’ai pianoté vingt secondes. Il m’a fixé à nouveau avec ses yeux bleus ». « Tu t’entends avec tes frères ? Tu aimes vraiment la musique ? » Chaque fois, étonné, l’élève se tourne vers sa mère. Pendant les premières séances, au lieu de travailler ses gammes, Yaron Herman parle et écoute, joue quelques minutes seulement, découvre la philosophie de son mentor, fondateur du premier département de jazz dans une école en Israël, la plus réputée aujourd’hui.
« Sa méthode était basée sur des principes mathématiques. Chaque note devenait un chiffre et chaque phrase devenait une combinaison. Devenir un bon musicien exigeait selon lui un investissement total sur le plan intellectuel, émotionnel et obsessionnel ». Obsessionnel, le jeune homme ne tarde pas à le devenir. Il vit replié dans sa chambre, sa famille ne le voit plus. Une immersion qui dure des jours, des nuits. Lors des cours, qui dureront quatre ans, l’apprenti pianiste découvre Earl Hines, Bud Powell, Art Tatum, Bill Evans, puis Lennie Tristano ou Herbie Hancock. « Brayer me confrontait au meilleur pour me donner envie d’aller vers la beauté. Au lieu de me décourager, il savait que cela décuplerait mon implication.»
À Tel-Aviv, une nouvelle génération de jeunes musiciens émerge. Yaron Herman, un an après son premier cours, remporte le prestigieux Prix Rimon et donne ses premiers concerts. Une progression unique dans le monde de la musique. En 2000, à dix-neuf ans, il part pour Boston et son Berklee College, la Mecque des écoles de musique et côté pédagogie, l’antithèse des voies suivies lors de son apprentissage. Trop formaté, le contexte lui semble peu adapté à son abord anticonformiste. Il prend le chemin des clubs, en quête d’un hypothétique sésame pour le monde du jazz, où les parcours commencent souvent par des engagements qui s’enchaînent dans un cercle vertueux.
Mais son visa expire. Il repart pour son pays via Paris, où son escale se prolonge. Obligé de passer la nuit dans la capitale, il se rend aux Sept Lézards, un endroit alors très vivant dans le Marais. « J’y ai joué et plusieurs personnes sont venus me voir, m’encourager. Finalement, je suis resté à Paris. » Suivront des résidences gratuites à La Fontaine, un lieu underground, puis dans le squat de la rue de Rivoli, pour jouer, jouer. C’était hier. Aujourd’hui, il vient de passer au Théâtre des Champs-Élysées, et s’apprête à jouer dans les plus grandes salles un peu partout en France.
{"type":"Banniere-Basse"}