Mélancolique et vénéneux, le sanguinolent nouvel album de Nick Cave visite les tréfonds un sourire aux lèvres.Nick Cave est un conteur. Chacun de ses albums s’appréhende comme un livre ou une pièce de théâtre, avec ses unités de lieu et de temps, son ton propre, ses intrigues et son fil conducteur. L’apparition de personnages communs […]
Mélancolique et vénéneux, le sanguinolent nouvel album de Nick Cave visite les tréfonds un sourire aux lèvres.
Nick Cave est un conteur. Chacun de ses albums s’appréhende comme un livre ou une pièce de théâtre, avec ses unités de lieu et de temps, son ton propre, ses intrigues et son fil conducteur. L’apparition de personnages communs et l’utilisation de flash-backs scellent d’évidents liens discographiques, mais chaque épisode est une entité. On s’y promène comme en des sites étrangers ou familiers, hostiles ou accueillants, au bon vouloir du guide.
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On se souviendra notamment des façades anthracite et vaguement baroques du cabaret The Good son, de la violence sous-cutanée façon road-movie d’Henry’s dream, de l’expressionnisme chancelant de Tender prey. Chez Nick Cave, un album réussi s’appuie d’abord sur un décor et une ambiance réussis. Après les rigueurs urbaines et l’architecture moderne de Let love in, Murder ballads revisite en catimini les plus sombres méandres de nos pulsions collectives. Même si l’ancien leader de Birthday Party insiste sur la part d’humour induite, ce n’est pas encore les Dossiers extraordinaires de Pierre Bellemare. Au chapitre de ses propres fantômes, Henry Lee marque le retour de son double, excroissance purement schizophrène d’un univers musical complexe. Et c’est PJ Harvey qui, dans le rôle mortel de la belle, donne la réplique à cette bête de moins en moins virtuelle. Omniprésent, Henry hante chaque titre et impose à Nick un tempo général mélancolique et vénéneux, ouaté et sanguinolent. On retrouve le psychopathe à l’affût derrière Kylie Minogue (Where the wild roses grow) ou embusqué sous les futaies de piano de Song of Joy.
Ici prime donc l’unité de ton. La mort s’insinue partout et va bien au teint des Bad Seeds. Incapables d’accoler une bande-son à des situations d’équilibre, Blixa Bargeld et Mick Harvey se sentent bien aux extrêmes. Et il se dégage de Murder ballads, entre acoustique étranglée et lueurs électriques ténues, une sérénité d’après combat, de repos du guerrier. De ce « langage de la violence », comme l’appelle Nick Cave, n’émerge qu’une logique impavide du crime, comme celle implacable de ce client du O’Maley’s bar qui noie ses déceptions dans l’alcool et l’hémoglobine des autres habitués. Mis à part ce bistrot du bout du monde et les quelques cactus malingres de Curse of Millhaven sorte de country-western aride , le décor s’inspire cette fois d’alcôves macabres et tapissées de velours dont ne s’échappe que le son de douleurs intimes et de rages étouffées.
Plus théâtral que jamais, le dernier acte, soit un magnifique et relativisant Death is not the end emprunté à Bob Dylan, voit tous les protagonistes refluer avant le tomber de rideau. Même Shane MacGowan, rescapé d’un antérieur What a wonderful world, se joint à PJ, Kylie et Anita Lane pour un dernier salut. Et Nick Cave revient seul, rassasié et apaisé par tant de sang, toiser un auditeur groggy sous le coup d’un charme quasi hypnotique.
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