Dans leurs toiles, photos et installations, le couple Muntean/Rosenblum extrait les images de mode pour leur donner ce qu’elles n’ont pas : expression, humanité, conscience critique. Exposition à Paris et rencontre avec deux agitateurs de la scène viennoise, aujourd’hui exilés à Londres.
Un temps, il fut question de s’installer à Paris. Markus Muntean et Adi Rosenblum ont finalement décidé d’emménager à Londres. Autrement dit, et c’est cela le plus important, ils ont quitté Vienne, n’y revenant que pour donner leurs cours. « Nous sommes partis par déception. Quand Haider est arrivé au pouvoir, pendant deux mois il y a eu parmi les artistes une très forte volonté d’opposition et de manifestation. Puis tout s’est délité, certains ont accepté des expositions organisées par l’Etat, des critiques d’art se sont retrouvés dans des comités de sélection, sous prétexte qu’il fallait s’introduire dans le système pour essayer de le contrôler… Nous et quelques autres, on a refusé toute exposition étatique. Alors que nombre d’artistes man’uvraient pour représenter l’Autriche et occuper le pavillon autrichien lors de la prochaine Biennale de Venise (pavillon finalement confié au groupe Granular = Synthesis). » Un départ d’autant plus symbolique que Muntean et Rosenblum sont des figures importantes de la scène artistique viennoise, fondateurs et animateurs, entre 95 et 98, d’un artist space indépendant, Bricks & Kicks : « C’était lié à la chute économique du milieu de l’art, et à une baisse d’activité artistique. Une sorte de relais pris par les artistes, avec l’idée d’une structure libre dont les gens faisaient ce qu’ils voulaient, une sorte de workshop collectif, chaque nouvel arrivant intervenant à sa manière dans un espace déjà configuré par les autres, s’appropriant les uvres des autres artistes. Ces interconnexions nous ont aidés d’ailleurs dans notre propre travail, nous ont appris à jouer de manière plus fluide entre différents médias. Il y a eu aussi une expo où on ne pouvait voir les uvres accrochées que par le biais d’un télescope de sous-marin, une autre plongée dans le noir, où le spectateur était comme un spéléologue, une petite lumière vissée sur un casque, une autre encore avec une forêt viennoise dans l’espace d’exposition… » On comprend mieux dès lors, après l’expérience communautaire de Bricks & Kicks, lieu de passages, d’expositions, de discussions, la déception viennoise vécue par Muntean et Rosenblum.
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Départ pour Londres donc, et fin d’un épisode. Par un drôle de hasard, à l’heure où le couple achevait d’accrocher ses toiles sur les murs de la galerie Art : Concept à Paris, dans le même temps une bande tout excitée de jeunes adultes prenait simultanément possession de nos salons-télé et de leur propre loft, studio multiplex de M6 déguisé en résidence de luxe. Histoire d’y dérouler, plusieurs mois durant, une vie belle comme une sitcom, c’est-à-dire pleine de rebondissements sentimentaux, de doutes existentiels, de pizzas décongelées et de rires nerveux. Une « jeune attitude » qui constitue à vrai dire la gamme visuelle de Muntean et Rosenblum : dans leurs peintures, dessins et autres tableaux vivants, ils dressent le portrait d’une génération et de ses codes, du streetwear aux montres Swatch, du McDo à emporter aux chaussures Nike, Puma, Fila…
Figures emblématiques d’une population logotomisée que les deux artistes extraient de la publicité, des magazines ou des films teenage pour les transposer sur leurs toiles, ou pour composer des tableaux vivants avec des mannequins moroses, habillés en clubbers, dans un musée transformé en fast-food. On voit le risque de ce genre de travaux : à force de suivre la mode, la peinture, surtout de Muntean et Rosenblum, très prisée à New York, Londres et Vienne, n’échappe pas à un aspect fashion. D’autant que la mode est trop souvent capable d’intégrer la critique, de se nourrir des commentaires déplacés induits par ces peintures, et en retour de les contaminer, si bien que l’on ne sait plus, parfois, si leurs toiles sont réellement critiques ou simplement tendance, participant, à leur insu, au système de la mode.
Heureusement, la dimension réellement critique de ce travail apparaît davantage dans leurs installations, plastiques et infantiles, en forme de faux McDo, d’arbre Playmobil ou de salle d’attente, mais surtout dans leurs tableaux vivants et leurs photographies, malsaines, d’adolescents figés, le visage couvert de silicone gluant. Cette structure multimédia permet aux deux artistes de remettre sans cesse en jeu leurs propres images, d’imprimer leurs peintures sur des T-shirts portés par deux modèles le soir de la performance, de les faire passer au format poster et d’en couvrir les murs de leur faux fast-food, de combiner entre eux une plus grande variété de supports, pour ne pas se figer dans un produit fini. Transfert : pour Muntean et Rosenblum, il s’agit de redonner aux figures lisses des filles de magazines, en tenue Gymtonic, à ces garçons en pantalon baggy, une nouvelle identité, d’inventer avec cette collection d’images de mode des situations possibles, des histoires nouvelles. D’où certains dessins agencés comme des comics ou un story-board.
Et pour charger d’existence, ces figures humaines qui n’étaient plus là que pour montrer ce qui les habille, pour réintroduire des émotions dans un répertoire d’attitudes strictement utilitaires les bras en l’air pour le déodorant, le sourire large pour le dentifrice, l’air renfermé pour donner du sérieux au T-shirt Hugo Boss , les deux artistes ajoutent au bas de leurs peintures un aphorisme qui apparaît souvent comme le commentaire (intérieur) du personnage portraituré. « Pour nos peintures, expliquent-ils, on a tout un ensemble d’images tirées de magazines de mode, et on collectionne également les phrases. Des extraits d’interviews, mais aussi des propos tenus par des personnes, des amis, qu’on a entendus et qu’on garde. » Un prêt-à-penser tout en anglais, où l’on trouve pêle-mêle des interrogations existentielles, des réflexions sur nos vies urbaines, des phrases définitives (« How simple, at times, life can be ») qu’on dirait sorties de Sex in the City, Angela, 15 ans ou Ally Mc Beal. Autant de pensées aussi stéréotypées qu’une paire de New Balance.
D’autres fois, les sous-titrages font surtout émerger, dans cette jeunesse apparemment cool et propre sur elle, un océan d’ennui, de malaise, de névroses, de dépressions latentes : « Youth is just a brief dream, a prelude of no particular lasting moment before actual life begins » (la jeunesse n’est qu’un court rêve, le prélude d’un moment pas particulièrement durable, avant que la vie réelle ne commence). Propos à la manière de Douglas Coupland : Génération X ?
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Muntean/Rosenblum, galerie Art : Concept, 16, rue Duchefdelaville, 75013 Paris. Tél. 01.53.60.90.30. Jusqu’au 26 mai.
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