Avant la parution de son second album renversant comme la pochette d’“Ultra Dramatic Kid”, le chanteur suisse évoque sa discographie composite entamée en 2015. Avec franchise et sans neutralité.
La mixtape Ultra Tape était parue en juin 2020, entre les deux confinements. Au-delà du titre qui annonçait déjà Ultra Dramatic Kid, tu amorçais un nouveau cycle discographique par une approche sonore plus radicale.
Muddy Monk – Dans mon processus de création, je n’avais pas envie de faire une pause trop longue entre deux albums et continuer à sortir de la matière. J’adore publier des nouveaux morceaux, qui apportaient une nouvelle couleur, un côté plus rock et plus distordu. Après Ultra Tape, j’avais d’abord en tête de faire un album de ballades, comme les deux titres parus sur le 45 tours Athènes / Petit soldat. Assez vite, j’ai repris l’autre projet d’album, plus radical et plus violent.
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Ta manière de composer évolue-t-elle en fonction du matériel utilisé ?
J’utilise des machines différentes. Sur le premier album, Longue ride, je me servais beaucoup de la MPC et des boucles. Aujourd’hui, c’est plutôt un séquenceur standard d’Ableton, des claviers MIDI et d’autres types d’effets.
Comme à chaque fois, il y a aussi l’idée du concept global.
Une idée déclinée en plusieurs morceaux, avec un parti pris visuel et graphique. Avec Dexter Maurer, on s’est rencontrés pour Ultra Tape. Depuis, nous sommes devenus inséparables.
Idem avec Félix de Givry qui a réalisé un clip pour chaque titre du nouvel album, donnant à voir au final un court métrage ?
Félix avait fait le clip de Splash à l’époque. On a réfléchi ensemble à un projet plus ambitieux et même s’il n’a pas suivi mon pitch de départ, qui était axé sur des illustrations inspirées par le manga Akira, j’aime beaucoup le résultat. Il est parti sur quelque chose de très cinématographique, en noir et blanc.
Quel fut le point de départ pour ton second album ?
Le premier morceau fini, mais qui n’a pas dessiné le concept de l’album, c’est Smthng, produit par un ami, Leopold Schwaller. Ça a été la première pierre du disque. Avec Intro, je tenais quelque chose de radical et strident comme je l’entendais dans ma tête. Au total, Ultra Dramatic Kid m’a pris un trimestre pendant un dur hiver de confinement. En mode obsessionnel, je n’ai pas fait grand-chose d’autre, à part travailler un peu à la boulangerie avec mon cousin, comme je le fais deux jours par semaine.
En écoutant les productions des autres, tes influences ont-elles évolué depuis Longue ride ?
J’ai commencé à écouter vraiment d’autres choses, comme The Strokes. J’étais saoulé par la pop trop mielleuse. Y a quand même l’idée de ne pas avoir de trajectoire prédéfinie, tout en ne perdant jamais l’homogénéité de l’ensemble.
Tu restes fidèle à ton parti pris en français ?
Bien sûr, sinon, ça sonnerait faux de le faire en anglais. J’utilise toujours un filet de voix avec quelques mots anglais pour l’esthétisme sonore. Ma seule peur, c’est de me répéter. C’est le Mythe de Sisyphe, c’est mon boulet. [sourire] D’ailleurs, c’est la première fois qu’il me restait des morceaux en réserve. Mais je préfère les jeter que les garder pour plus tard.
Quel souvenir gardes-tu d’avoir interprété ton nouvel album à la Salle Pleyel, en première partie de Sébastien Tellier en novembre dernier, sans que personne ne l’ait entendu à part quelques journalistes ?
Comme un saut dans le vide. J’étais étonné que le public soit aussi attentionné pour une première partie. J’étais motivé par l’enjeu et par le cadre élégant de la Salle Pleyel. Et pareil pour la mise en scène, qui va être déclinée pour les prochains concerts comme à La Cigale en mai. Je prends de plus en plus de plaisir sur scène.
Comment vois-tu ta discographie depuis le maxi Ipanema en 2015 ?
Depuis le début, j’avais envie de laisser une trace. C’est très intense de sortir un disque à chaque fois. En 2015, il n’y avait vraiment personne qui m’attendait et j’étais très fébrile dans les jours précédant la sortie. Aujourd’hui, je vois bien que ma discographie se radicalise, entre l’influence bossa-nova d’Ipanema et mon penchant pour la distorsion sur Ultra Dramatic Kid, comme si je crachais de la musique. La dualité m’intéresse, comme chez Ariel Pink, Kanye West ou Devendra Banhart.
Vivre en Suisse te permet aussi de rester à l’écart des modes et du microcosme de l’industrie du disque.
J’aime bien être sur mon îlot et ne pas avoir trop d’avis. Si tu habites à Paris, c’est forcément différent. Au moment du mixage, j’ai parfois des doutes ou des questionnements sur certains partis pris. Peut-être qu’un jour, je choisirais de m’entourer d’un producteur – il faudra que ce soit une évidence. D’autant que j’ai adoré collaborer avec Myth Syzer ou Ichon par le passé.
À quand remonte cette soif de radicalité ?
À loin… [sourire] J’étais un enfant inquiet et anxieux. Être seul est une manière d’éviter la concurrence. Un ami me disait récemment que je devais toujours tout faire autrement. C’est autant un défaut qu’une qualité.
Tu fais toujours autant de rides à moto ?
Moins, car j’habite désormais en ville à Berne. L’inspiration est moins motocycliste sur Ultra Dramatic Kid. C’est d’abord une séparation, le retour en Suisse, des désillusions et la prise de conscience de la traversée de la vie.
Quel rapport entretiens-tu avec les réseaux sociaux pour partager ta musique sans intermédiation ?
C’est stimulant dans une période de travail solitaire, qui offre un excellent moyen de motivation et de promotion.
Tu continues à acheter de la musique sous quel format ?
Récemment, j’ai acheté trois albums des Strokes en CD. Et dans mon nouvel appartement, j’ai réinstallé une platine vinyle. Sinon, je consomme sur Spotify, qui nous donne vraiment beaucoup d’argent. [sourire]
Avec les instruments, tu fonctionnes également par phase, à en croire tes stories sur Instagram où tu vends régulièrement du matériel ?
Il faut d’ailleurs que j’arrête de faire de la brocante avec mon compte pro : Muddy Monk, brocanteur ! [sourire] À Berne, j’ai emménagé tout près de mon réparateur de synthés, ça risque donc de ne pas arranger ma compulsion. J’ai même acheté un clavier pour faire de la trance.
Un album qui sort le 1er avril, bonne ou mauvaise nouvelle ?
C’est une décision française, mais je m’y soumets. [sourire] Un 1er avril, sur Arte, j’avais vu un docu fiction sur la présence d’homo sapiens et j’y avais cru sans faire attention à la date de diffusion.
Propos recueillis par Franck Vergeade
Ultra Dramatic Kid (Half Awake Records / Bigwax). Sortie le 1er avril. Concert le 19 mai à Paris (La Cigale).
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