Dans l’intimité boisée du confessionnal unplugged, Alice In Chains fait acte de contrition : bénédiction. Comme tout le monde, au point où on en est, Alice In Chains n’a plus rien à perdre que ses chaînes. Ses chaînes, c’est-à-dire tout ce fourbi métallique derrière lequel le groupe caparaçonne son aptitude mélodique assez réelle et torturée, […]
Dans l’intimité boisée du confessionnal unplugged, Alice In Chains fait acte de contrition : bénédiction.
Comme tout le monde, au point où on en est, Alice In Chains n’a plus rien à perdre que ses chaînes. Ses chaînes, c’est-à-dire tout ce fourbi métallique derrière lequel le groupe caparaçonne son aptitude mélodique assez réelle et torturée, les qualités vocales indéniables de son chanteur Layne Staley (Mark Lanegan en moins fortiche ?), et une certaine propension à faire compliqué quand ils pourraient se contenter de la mortelle simplicité du grunge. L’émission Unplugged de MTV ce Monsieur Jourdain rock grâce à qui un certain nombre de groupes reboisés ont soudain fait de la musique sans le savoir, voire réinvesti la part secrète d’eux-mêmes qu’ils avaient laissée en jachère, notamment cette faculté des groupes américains à être toujours Crosby, Stills, Nash & Young quelque part (comme en France, quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, on est toujours un peu Maxime Le Forestier, si, si, réfléchissez) l’Unplugged de MTV a donc servi de tremplin à l’âme souterraine d’Alice In Chains. Tout le monde fera vachement la comparaison avec l’Unplugged de Nirvana, et tout le monde aura vachement tort. Celui-ci était en effet l’autre face d’une même provocation, alors que l’Unplugged d’Alice In Chains est avant tout un effort de légitimation. Ce groupe et c’est d’ailleurs ce qui le rend plus intéressant que la moyenne a un problème, une putain de névrose, un criant complexe d’infériorité. C’est agréable et, en général, c’est comme le phosphore, c’est bon pour la créativité. Pour preuve, Alice In Chains n’a jamais sorti un album sans le faire suivre immédiatement d’un p’tit acte de contrition. Après le premier album, en 1991, c’est Sap, un mini-album acoustique, quatre titres dénudés enregistrés avec des poteaux de Seattle et sur lequel la déplacée Ann Wilson joue même les choristes de luxe. Après Dirt, le deuxième album, voici Jar of flies sept chansons byzantines enregistrées en une semaine « comme un exorcisme », déclare alors le groupe. Alice In Chains s’y éclate franchement, aux frontières du psychédélisme, sans même se refuser le luxe rococo dans les coins d’un quatuor. Ces deux enregistrements qui, pour nous, il va sans dire, représentent ce qu’Alice In Chains a fait de mieux deux coton-tiges si l’on veut par rapport au cérumen grunge qui forme la matière assez commune de leurs disques « officiels » ont d’ailleurs été réédités en 1994 sous la forme d’un double CD, dans lequel, assez symptomatiquement, on trouve une photo où les quatre membres du groupe pissent littéralement sur leur image publique.
Or, aux Inrockuptibles, le fidèle lecteur s’en sera sans doute aperçu, on a un faible sans légèreté pour les groupes qui se compissent. Or c’est ainsi qu’il faut interpréter et apprécier au finish cet Unplugged. Comme une manière pour Alice In Chains de compisser son récent troisième album, qui venait tout juste de sortir et qu’on n’aimait pas, ça tombe hyper-bien. Un reniement, une manière tout à fait élégante de se chier dessus c’est comme ça qu’il faut le voir, l’écouter. On ne sera donc pas étonné que près de 50 % du matériel de ce concert débranché pour MTV provienne justement de Jar of flies et Sap c’est-à-dire de ces joyeux moments d’expiation dans la carrière d’Alice In Chains. Et on ne s’étonnera pas, qu’avec les deux susnommés, cet Unplugged soit le seul disque d’Alice In Chains qu’on accepte de bonne grâce dans notre discothèque. Un groupe qui, décidément, ne nous intéresse que quand il ne s’aime pas.