Avec deux somptueux recueils rendant hommage à des amis
disparus, Lambchop et les Tindersticks confirment leur statut
de souverains du royaume de la mélancolie.
Dans la vie, de manière à ce que chacun trouve chaussure à son pied, il y a des artistes comme Didier Super et Stupeflip, et puis il y a des artistes comme Lambchop et les Tindersticks. Les premiers aiment rire et parler fort. Les seconds sont du genre à préférer le silence et l’ironie. Côté légumes, les premiers ont souvent la patate quand les seconds ont des coeurs d’artichaut. D’ailleurs, c’est dans les disques de ces derniers qu’on retourne, depuis presque vingt ans, soigner les bleus à l’âme dès qu’ils pointent leur nez : on y trouve, sinon la guérison, la complicité et le réconfort.
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Depuis deux décennies, les Tindersticks et Lambchop suivent des routes parallèles. Leurs trajectoires, qui se rejoignent cet hiver puisque chacun publie un album sur le label allemand City Slang, se ressemblent à bien des égards : tous deux sont ignorés du grand public, tous deux affichent une belle discographie (neuf albums studio pour la troupe de Stuart Staples, onze pour celle de Kurt Wagner). Tous deux, enfin, siègent au royaume des bienfaiteurs mélancoliques, dont ils partagent les bancs avec Scott Walker, The National, Nick Drake, Palace ou Okkervil River.
Point d’orgue de ce ballet de natation synchronisée, les deux groupes publient ce mois-ci des disques en hommage à leurs amis disparus – c’est pas gai, mais c’est beau. A l’époque de l’album précédent des Tindersticks, Stuart Staples avait raconté, déjà, la peine suscitée par les disparitions d’Alain Bashung et de la chanteuse Lhasa, dont il était proche. “Tellement de gens nous ont quittés ces dernières années, explique-t-il. Ce disque parle de ces personnes. Pour autant, je ne l’ai pas envisagé comme un album de deuil et je ne le vois pas comme un disque sombre. C’était plutôt un terrain pour réfléchir à comment on peut continuer à vivre normalement après tout ça. Comment les gens se débrouillent pour continuer à danser malgré tout.”
Mr. M de Lambchop est dédié à la mémoire de Vic Chesnutt, proche de Kurt Wagner – les deux musiciens avaient collaboré sur l’album The Salesman and Bernadette en 1998 –, qui s’est donné la mort le jour de Noël 2009. “Je fais des disques autant pour le public que pour mes amis, raconte Wagner. Je l’ai donc peut-être aussi fait pour lui. C’était douloureux pour moi de raconter ces choses-là, de parler de lui. Je le fais simplement parce que j’essaie de gérer tout ça. Et j’espère peut-être y trouver des vertus thérapeutiques.”
Si l’entreprise n’est pas gaie, elle donne lieu à deux disques au raffinement admirable. Côté Tindersticks, le groupe offre avec The Something Rain un successeur splendide à Falling down a Mountain, le disque qui, il y a deux ans, avait signé son retour lumineux. Revigorés par une longue tournée lors de laquelle ils revisitèrent les musiques composées pour les films de Claire Denis, les Tindersticks renouent aujourd’hui avec la magie de Curtains, enchaînant quelques instrumentaux formidables et une poignée de morceaux sensuels (Show Me Everything, Come Inside). Porté par des choeurs habiles et un Fender Rhodes voluptueux, le groupe parvient même à légitimer l’usage du saxophone.
Côté Lambchop, l’émotion est grande. Mr. M débute sur un If Not I’ll Just Die à faire pleurer les brutes : derrière ce titre emprunté aux paroles de This Guy’s in Love with You de Burt Bacharach, Wagner chante comme un enfant triste, un Robert Wyatt amoché. Enregistré à Nashville, dans les studios du producteur Mark Nevers (Will Oldham, Silver Jews), le disque évite pourtant tout pathos en multipliant les arrangements cotonneux (Nice Without Mercy, 2B2, Buttons). “J’aime l’idée de rester fidèle à un son, de me répéter, même. Je crois que ça crée une identité.” En oscillant sans cesse entre folk et jazz, pop suave et climats cinématographiques, Mr. M offre au chagrin de Wagner l’un des plus beaux écrins sonores de l’année. Plus qu’un cadeau d’amitié, c’est un cadeau d’amour.
Concerts : Tindersticks le 5 mars à Paris (Trianon), Lambchop le 29 mars à Paris (Maroquinerie)
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