C’est la surprise du printemps : The Breeders, le groupe des soeurs Deal, pétroleuses de l’indie-rock des années 1990 avec leur tube Cannonball, déboulent avec un grand disque de rock hors du temps.
On les croyait mortes pour la cause, les Breeders. Ensevelies sous les tonnes de dollars et les épuisantes tournées stadières des Pixies reformés en 2004, soufflées par les incessantes prises de bec et sales aigreurs entre les jumelles Kelly et Kim. Quand on les rencontre en février, les sœurs Deal semblent pourtant avoir bien survécu aux bourrasques. Physiquement, elles en ont même plutôt profité. La maigreur de VV des Kills est une antithèse physiologique, le glamour étrange de Beth Ditto de Gossip une opposée stylistique : les deux mémères terriblement amerloques et totalement sympathiques flottent en surcharge dans des fringues informes, ont oublié toute notion de maquillage, gloussent comme des routiers.
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S’ensuit une interview dingo et surréaliste ; les frangines, à la bourre pour leur avion, répondent aux questions en pliant petites culottes et vieux pulls crades dans leur chambre d’hôtel, Kim court en tous sens, hurle ses réponses de la chambre ou de la salle de bains, se met à chanter pour un rien, préfère les blagues au jeu des questions-réponses. Puisqu’il est impossible de les faire parler sérieusement plus de soixante secondes, on ne sait pas grand-chose de Mountain Battles, ce quatrième album que même les fans n’attendaient plus vraiment. On sait tout juste que, malgré le silence, malgré les difficultés, malgré la formation à géométrie très variable (“Richard Presley, notre guitariste, vend maintenant des Porsche à L. A. et adore ça. Il nous manque, mais on n’y peut rien !”, se marre Kim) et malgré les longues années (le précédent et semi-échec Title TK était sorti il y a six ans, quand même), il n’a jamais été question de séparation.
On apprend aussi que les sœurs Deal, Pixies ou pas, n’ont finalement pas vraiment chômé : elles ont juste fait ça à leur manière, quand l’emploi du temps chargé de Kim avec les Pixies le leur permettait, quand elles ont trouvé quelques heures pour se fixer quelque part. “Ce n’est pas comme si on n’avait rien foutu pendant cinq ans pour nous réveiller un matin et vouloir faire quelque chose, explique Kelly. Nous avons travaillé tout le temps sur Mountain Battles, mais par à-coups, sans nous presser. On jouait constamment dans notre cave, on entrait régulièrement en studio, ici ou là. Il faut aussi expliquer qu’on a passé pas mal de temps ces dernières années à s’occuper de notre mère, qui souffre de la maladie d’Alzheimer. C’est quelque chose de très étrange à vivre, pour elle évidemment, mais pour les proches aussi. Je ne supportais pas, au début, de devoir me répéter, de lui expliquer que si, elle m’avait déjà vue aujourd’hui, que oui, elle avait déjà dîné, ce genre de conneries. J’ai appris à être compréhensive, et beaucoup plus patiente – c’est con, mais je crois que ça nous a pas mal aidées pour l’album, qui a pris un peu de temps, et dans ma relation avec Kim.”
Kim et Kelly nous apprennent également que les Breeders n’avaient aucune ambition particulière, sinon celle d’attendre avant d’avoir suffisamment de bons morceaux pour en faire un bon album. Pas d’envie stylistique précise, pas d’ambitions démesurées, beaucoup de temps, pas de pression excessive : on sait, d’expérience, que ça donne d’excellents disques. Il suffit de tendre l’oreille deux minutes – ou un peu plus, car l’album gagne en saveur avec le temps – pour s’en rendre compte : Mountain Battles est, très précisément, cela. Un excellent disque. Pas très loin, même, du grand album.
Produit par diverses petites mains, dont celles du grand Steve Albini, il a été intégralement enregistré en analogique. “Pas parce que c’est à la mode, pas parce que les White Stripes l’ont fait, explique Kelly. Pas parce que c’est old-school et cool : c’est pour nous la volonté d’un son chaud. Il y a de très bonnes choses faites sur ProTools, mais c’est souvent simplement un énorme bordel, des collages sans fin, ou ça donne des effets de mode très vite dépassés. Nous voulions des choses simples, et nous ne voulions pas faire une musique influencée par la technologie et l’époque.”
Et ça n’a l’air de rien, ou du moins de pas grand-chose, mais tout le bonheur de ce Mountain Battles réside là : c’est un album totalement largué, hors du temps, qui ignore tout de la vie et de la mort du grunge, du MP3 et du 11 Septembre, de Bush et de tout, se fout des saisons et plus encore des styles, aurait pu être enregistré en 1984, ou en 1996, ou en 2018. Mountain Battles est juste une collection d’excellentes chansons, à la fois primitives et raffinées, joliment troussées quand elles sont lentes (la très belle We’re Gonna Rise, la folkeuse Here No More) et bourrées de nerfs quand elles sortent les griffes (German Studies ou l’épique Overglazed), qui se permettent quelques explorations bizarroïdes plutôt réussies (la heurtée et boîte-à-rythmée Bang on, la marécageuse et tordue Spark). On y trouve même deux petits tubes atomiques, Walk It off et It’s the Love, qui, dans quelques années, colleront sans doute comme collent encore leurs premiers succès ou ceux des Pixies. Les souris n’étaient pas mortes : elles étaient occupées à accoucher d’une montagne.
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