Le cancer est un adversaire redoutable. D’autant plus qu’il ne respecte aucune règle. Et ne vous laisse souvent vous relever que pour mieux vous asséner le coup de grâce. A 68 ans le chanteur de Soul Charles Edward Bradley vient de perdre son combat contre celui qui lui rongeait l’estomac depuis un an, et qui […]
Le chanteur Charles Bradley, figure attachante et douloureuse de la soul music, est mort ce week end des suites d’un cancer. Il avait 68 ans. Retour sur une carrière longue à se dessiner et jonchée de calamités et de tragédies.
Le cancer est un adversaire redoutable. D’autant plus qu’il ne respecte aucune règle. Et ne vous laisse souvent vous relever que pour mieux vous asséner le coup de grâce. A 68 ans le chanteur de Soul Charles Edward Bradley vient de perdre son combat contre celui qui lui rongeait l’estomac depuis un an, et qui après un bref répit s’était mis à lui attaquer le foie. Si la métaphore nous est facile, c’est que la vie de Bradley a beaucoup ressemblé à un combat de boxe. Un combat d’une rare violence, mais qui ne s’est pas conclu sans quelques rounds victorieux et qui fut accompli avec beaucoup de panache.
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Dans la soul music comme dans la boxe il y a les champions et les sparring partners. Il arrive que des figurants du ring deviennent des vedettes. La chose est rare et pour un Larry Holmes qui à ses débuts entraînait Mohamed Ali et a fini par être couronné champion du monde des lourds, combien de milliers de ces faires valoir condamnés à l’obscurité ? Charles Bradley aurait du être le sparring partner de James Brown si celui ci avait poursuivi sa carrière de boxeur. Au cinéma, il aurait pu lui servir de doublure. Ses dons d’imitateur l’y autorisaient. Dans sa jeunesse, après l’avoir découvert à l’Apollo Theater de Harlem lors de l’une de ses légendaires prestations, Bradley s’était mis à singer Brown dans des cabarets de New York ou d’ailleurs, interprétant ses chansons, sa manière de chanter, reproduisant sa gestuelle dans des costumes copiés à l’encolure près sur ceux que portaient en scène le Parrain de la soul. Le spectacle plaisait à un public qui ne serait jamais aventuré à voir un vrai spectacle de Brown dans un quartier aussi mal famé que Harlem.
Bradley en fit donc un métier sous un nom d’emprunt, un nom qu’aurait pu choisir un catcheur, The Black Velvet. Et de 1967 aux années 2000, il vécut dans l’ombre de son modèle. Puis à la mort de James Brown en 2006, il se retrouva seul à chanter du James Brown. Son heure de gloire sonna alors. Il devint un champion à son tour. Tardivement. Douloureusement. Il signa un contrat avec le label revivaliste Daptone Records, eut le temps de sortir trois albums, de multiplier concerts et tournées, de goûter à cette gloire qu’il n’avait jusqu’alors jamais connu autrement que par procuration. C’est au cours de ces années là que The Black Velvet devint enfin Charles Bradley. Que l’imitateur se débarrassa du costume de l’imité. Pas complètement certes. On ne se défait jamais totalement d’une aussi longue appropriation. Mais dans cette tardive chrysalide, il se paya quand même le luxe de mettre enfin sa vie, toute sa vie, dans sa musique. Une vie acharnée, pas franchement gaie, vécue comme sur un ring où l’on encaisse des coups, où l’on accumule blessures et K.O….
Bradley est né à Gainsville en Floride en 1948. Abandonné dès la naissance par sa mère, n’ayant jamais connu son père, il a d’abord été élevé par sa grand-mère maternelle. Puis à l’âge de 8 ans, sa mère Inez souhaitant le récupérer, il passe le reste de son enfance à Brooklyn. Il a 14 ans en 1962 quand sa sœur lui fait assister à ce fameux concert de James Brown (consigné sur le Live At The Appolo Vol 1) qui va changer sa vie. Cette même année il s’enfuit de chez lui. Fatigué de vivre dans un sous sol insalubre et une misère indescriptible, il préfère la liberté du sans abri qui a la rue pour royaume et le métro pour dortoir.
Dans un documentaire intitulé Soul of America qui lui sera consacré en 2012, Bradley raconte qu’il avait peur que sa mère, au comportement très instable, ne finisse par lui faire du mal. Une vie d’errance débute pour lui au cours de laquelle, il va devenir cuistot dans un hôpital psychiatrique, survivre d’expédients et de jobs minables entre le Maine, le Canada, l’Alaska et la Californie. Tout en accrochant ici et là d’épisodiques engagements dans des clubs. En 1996 sa mère lui demandant de se rapprocher d’elle, il retourne habiter avec elle à Brooklyn. C’est à cette époque qu’il se fait connaître sous le nom de The Black Velvet. Mais aussi qu’il manque de mourir après une injection de pénicilline et qu’il assiste impuissant au meurtre de son frère en pleine rue commis par l’un de ses neveux.
Tout ce vécu extrême du ghetto, toute cette expérience de vagabond au long cours et aux lendemains incertains, il aura finalement l’opportunité d’en traduire la douleur, la poignance dans ses propres compositions. Repéré par Gabriel Roth et Tom Brenneck de Daptones, label devenu refuge des gueules cassées de la soul ( à l’image de Sharon Jones), il est soudain propulsé dans une lumière autrement intense que celle éclairant les scènes de seconde zone où il a coutume de se produire. Sans se laisser aveugler, il saisira cette opportunité pour coucher sa vérité sur trois albums, No Time of Dreaming, Victim of Love et Changes, au goût âpre comme l’avait été toute son existence. Ces disques enregistrés avec les Bullets ou le Menaham Street Band, répondent à merveille à la vocation profonde de la soul music qui est de confire dans une exubérance rédemptrice les tragédies du quotidien. Sur le dernier album paru en 2016, on l’entend reprendre un titre du groupe de métal Black Sabbath intitulé Changes, faisant ainsi écho à tout ce qu’il avait traversé, heurs et malheurs, à ce que la roue indomptable du destin lui avait fait endurer. Charles Bradley, James Brown du pauvre devenu icône de la soul, est mort la même semaine que l’ancien champion du monde de boxe Jake La Motta. Dure semaine pour la boxe. Dure semaine pour la soul. Francis Dordor
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