Les Martires Del Compas ne se contentent pas de rénover le flamenco, ils lui transmettent une rage de chiens andalous. Si Martires del Compas est devenu un peu culte depuis son apparition sur la scène espagnole voici dix ans, c’est en raison de la formulation nouvelle d’un langage musical que d’autres avant eux Pata […]
Les Martires Del Compas ne se contentent pas de rénover le flamenco, ils lui transmettent une rage de chiens andalous.
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Si Martires del Compas est devenu un peu culte depuis son apparition sur la scène espagnole voici dix ans, c’est en raison de la formulation nouvelle d’un langage musical que d’autres avant eux Pata Negra, Ketama, Veneno avaient passablement rénové, sans toutefois atteindre cette spontanéité ni épouser pareil vertige existentiel. Ainsi, grâce à ce combo sévillan monté par Chico Ocana, le flamenco, fréquence qui ne saurait tolérer l’amoindrissement des forces d’expression, a-t-il retrouvé auprès d’une génération branchée rock cette fracassante urgence, ce je ne sais quoi d’impérieux qui en fait l’un des beaux défis musicaux (avec le rock) lancés à la médiocrité du vivre.
Mordiendo el duende est le titre d’un quatrième album, tendre et enragé, qui d’ailleurs pouvait en mériter bien d’autres. Never mind the cojones par exemple. Car tout ici n’est que vacillement, abandon, fulgurance et grotesque. Tant de tumulte n’aurait toutefois pu retenir l’attention sans le préalable d’une maîtrise technique et d’une connaissance approfondie des modes (palos) propres à la musique flamenca.
Dans le genre cadors de la buleria ou du fandango, les Martires ne craignent personne. Les parties de guitares acoustiques étincellent d’économie et de précision. Et la mise en rythme de l’ensemble bourdonne comme du sang saturé d’adrénaline qui carillonne aux tempes. Le reste n’est plus alors que maintien d’équilibres précaires. La voix de Chico déchausse toutes les trois mesures. C’est là qu’on perçoit cette fatigue caractéristique des nuits de movida, enchaînées les unes aux autres comme les cigarettes et les verres de vin, où les pensées trébuchent et les corps n’ont plus guère que l’orgueil pour se maintenir d’aplomb. Comme le nuevo tango de Piazzolla, le nuevo flamenco des Martires sent un peu la fête frelatée, l’haleine au gros rouge et la pisse. Leur déclaration d’amour à la vie n’est pas à prendre à la légère. Fermant la marche, Por el centro en résume un peu tout l’enjeu, car « rechercher le centre » n’est pas seulement une préoccupation d’automobiliste en quête d’un centre-ville, c’est aussi une préoccupation au centre de ce disque qui livre, avec sincérité et plus, une détresse postmoderne très espagnole, où les matadors sont végétariens, les machistes dépressifs et, à l’ère du tout relatif, les passions bien blessantes. Les fans d’Almodóvar s’y retrouveront.
Ce disque risque de laisser des traces rouges, comme le baiser d’une cigarette écrasée par dépit sur son propre avant-bras à l’heure où l’on devient tous un peu martyrs et empalés du rythme… Plus qu’à écouter, un disque à vivre.
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