Qu’il est bon de replonger dans les vieux magazines qui s’entassent sur un coin de plancher, dans le salon de nos appartements minuscules. Relire certains papiers nous aide à ravaler nos poncifs usés jusqu’à la lie sur la médiocrité de l’époque.
Ainsi, si les choses sont médiocres aujourd’hui, alors elles l’ont toujours été. J’en veux pour preuve les mots de l’ami Michka Assayas dans le numéro 24 des Inrockuptibles, daté juillet/août 1990, pour les besoins de sa chronique intitulée Contre-Feu : “Notre temps n’a que la création, l’imagination et la passion à la bouche, alors qu’il n’est capable de produire que des produits calibrés et standardisés.” Voilà de quoi nous faire relativiser. Il est donc inutile de s’apitoyer et de regarder dans le rétro, nos illustres aîné·es l’avaient déjà mauvaise autant que nous, pointant du doigt la marchandisation de la musique – marchandisation inhérente à l’histoire de la musique enregistrée, faut-il le préciser – et raillant l’état merdique de la création.
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La perfection gerbante
Aujourd’hui, le constat est le même, nous sommes abreuvé·es de toute part. Comme perfusé·es aux flux incessants d’une machinerie capitaliste où la logique de la part de marché l’emporte sur tout le reste, dans une gigantesque foire de surenchères exaltée par les mêmes discours performatifs et creux du genre que ceux cités par Michka.
Les blockbusters, difformes et gargantuesques, se déversent ainsi sauvagement sur les plateformes de streaming, captant la manne financière et l’attention de tout un secteur, avec des produits tellement pensés selon une approche disruptive qu’ils en deviennent banals. Pire, la norme. Les disques de Travis Scott, Drake, Taylor Swift, Olivia Rodrigo, Doja Cat, au bout du compte, finissent dans les oubliettes de la mémoire. Pas qu’ils soient mauvais, ces albums, ils sont même parfaits. Si parfaits, qu’on s’en fout. Et même s’ils ne l’étaient pas, parfaits, l’accaparement de l’espace des réseaux par ces mastodontes est si ridiculement total, que la notion critique n’existe tout simplement plus.
Soit. Empiffrons-nous, on finira par exploser comme Mr. Creosote dans le film Le Sens de la vie (1983), du Monty Python. Ou alors, faisons un pas de côté. De toute façon, tout va si vite que si nous ratons le train en marche, le suivant lui colle déjà au cul. Nous ne risquons plus rien à passer à côté du nouveau triple album du pitre de Toronto. Prenons le large : à Los Angeles, un duo nommé Monde UFO joue une musique à la croisée de Sun Ra et de Spacemen 3, en convoquant l’imaginaire d’une science-fiction vintage qui en dit plus sur l’état de santé du monde qu’un énième morceau à visée cathartique pondu par une star de la variété française. Louper le train, d’accord. Mais ne manquez pas la soucoupe volante.
Édito initialement paru dans la newsletter musique du 24 novembre 2023. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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