Quarante ans après leurs premières noces, Monk’s dream célèbre les retrouvailles d’un couple mythique : Steve Lacy et Roswell Rudd. C’est une histoire exceptionnelle d’amitié et de complicité musicale. Tout commence à la fin des années 50 lorsque deux jeunes musiciens à l’orée de leurs carrières respectives se rencontrent par hasard lors d’un concert anecdotique […]
Quarante ans après leurs premières noces, Monk’s dream célèbre les retrouvailles d’un couple mythique : Steve Lacy et Roswell Rudd.
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C’est une histoire exceptionnelle d’amitié et de complicité musicale. Tout commence à la fin des années 50 lorsque deux jeunes musiciens à l’orée de leurs carrières respectives se rencontrent par hasard lors d’un concert anecdotique donné au collège de Yale en compagnie de l’orchestre local, obscure formation de dixieland, cette survivance/résurgence nostalgique de l’improvisation collective et polyphonique du jazz originaire de La Nouvelle-Orléans. Steve Lacy a alors 25 ans, joue du saxophone soprano et depuis quelques années déjà commence insensiblement à faire entendre sa voix, résolument originale, délaissant progressivement le jazz très traditionnel de ses premières amours, pour s’acoquiner avec une assurance grandissante à la fine fleur de l’avant-garde naissante (de Cecil Taylor qui lui fait découvrir la musique de Thelonious Monk à Gil Evans, dans un tout autre registre, luxuriant et sophistiqué). Roswell Rudd, lui, un an de moins, joue du trombone dans des contextes beaucoup moins « révolutionnaires », mais dans un style âpre, « vocal », violemment ironique et expressionniste dont l’archaïsme revendiqué séduit le saxophoniste.
Au-delà des genres, les deux hommes se reconnaissent ; un même amour pour Ellington et surtout Monk, alors somme toute encore assez « marginalisé », finit de sceller une amitié qui dès lors ne se démentira plus. Lacy et Rudd décident aussitôt de s’associer : ils fondent un quartette sans piano qu’ils consacrent à l’exploration exclusive, minutieuse et amoureuse du vaste répertoire encore mal défriché de l’oeuvre foisonnante de Thelonious Monk. Le projet est radical, la musique, lumineuse d’invention et de liberté mais si définitivement singulière que personne ne pense à la programmer, et encore moins à l’enregistrer. Un seul document, School days, capté sur le vif en 1963 (juste avant que les deux musiciens ne se séparent, Lacy s’engageant dès lors dans l’un des parcours les plus personnels du jazz moderne ; Rudd se révélant in fine le grand tromboniste paradoxal du free-jazz militant auprès de Shepp, Taylor, Ayler, etc.), rendait compte jusqu’alors de l’originalité de cette aventure musicale délicieusement monomaniaque.
Aujourd’hui, près de quarante ans plus tard, ce couple mythique se reconstitue et dans l’atmosphère feutrée d’un studio d’enregistrement, dans le même mouvement ressuscite et immortalise une musique décidément miraculeuse, d’une fraîcheur d’inspiration inaltérable. Ce qui séduit d’emblée, c’est cette association de timbre, exceptionnelle, que l’on retrouve ici intacte, entre le lisse abstrait du soprano et la rugosité granuleuse du trombone ; l’opposition sensuelle entre la fluidité anguleuse de la ligne claire du phrasé de Lacy et l’éclat brut des taches de couleurs vives projetées par Rudd enfin, partout présent, cet art subtil de l’ellipse et de la suggestion, cette façon de laisser entendre beaucoup plus qu’on ne dit, leçon ultime de grand maître zen qu’était Monk, référence majeure, fondatrice et décidément incontournable.
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