Il réussit ce que seul un musicien pouvait entreprendre : suivre la trace du dernier des grands fauves du jazz. Drôle de zigue que ce Thelonious Sphere Monk, homme imprévisible, énigmatique, affublé d’un nom bizarre qui, à la fin de sa vie, fut classé par la médecine américaine dans la catégorie des schizophrènes non répertoriés. […]
Il réussit ce que seul un musicien pouvait entreprendre : suivre la trace du dernier des grands fauves du jazz.
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Drôle de zigue que ce Thelonious Sphere Monk, homme imprévisible, énigmatique, affublé d’un nom bizarre qui, à la fin de sa vie, fut classé par la médecine américaine dans la catégorie des schizophrènes non répertoriés. Il s’affuble d’étranges couvre-chefs, s’endort sur son piano, quitte le clavier pour entamer une sorte de danse de l’ours. « Son attitude rappelle, selon le mot de Dashiell Hammett, l' »autre côté d’un demi-fou », remarque Laurent de Wilde qui signe ici un livre d’amateur de jazz, d’écrivain, de pianiste parfois. De Wilde a préféré l’analyse à l’anecdote, l’éclairage diffus et thématique (les femmes, les producteurs, les saxophones…) à la simple approche chronologique. L’affaire n’était pas mince. Comment pénétrer l’univers si singulier et insaisissable de Monk, comment parler de ce bonhomme un brin déjanté, musicien inclassable, sans ascendance ni réelle descendance, ce météore venu d’on ne sait où ? D’autant qu’on a dit tout et n’importe quoi à son sujet. Qu’il ne savait pas jouer du piano, qu’il n’avait aucune technique. Pour lui, seule la musique compte, il s’y dévoua toute sa vie, sans relâchement ni concession, méthodique et opiniâtre, modèle d’intégrité. Sa musique dérange, on le lui fera comprendre et payer : solitude, pauvreté, sarcasmes. Une seule note suffit, Monk est là, avec ses silences, son jeu de piano discontinu et anguleux, ses tensions et dissonances harmoniques, son phrasé chaotique : le « grand prêtre » du be-bop à la technique si peu orthodoxe cultive l’art de l’insolite, l’économie, adopte une démarche comme hésitante, claudicante, toujours au bord du vide, de ce silence dont il sut faire un élément essentiel de son art. « Il croit au silence, Monk. Dans sa musique, dans la vie, partout. (…) Il compose au burin et au ciseau, Monk. (…) Il me rappelle Brancusi, Monk : il sculpte, dans la masse sonore, des espèces de gros machins compacts qui, achevés, éblouissent par leur beauté, leur vigueur, leur humour », écrit Laurent de Wilde qui est passé des bancs de l’Ecole normale supérieure à celle des clubs de jazz new-yorkais (le prix Django Reinhardt de l’Académie du jazz en poche, cinq disques à son actif, il fait partie, comme on dit, des pianistes qui comptent en France). Plus que n’importe quelle biographie bien ficelée, cet essai libre de Laurent de Wilde aborde Monk de l’intérieur. D’une belle plume alerte, il nous fait (re)plonger dans l’univers du pianiste, dans l’intimité du créateur et les folies douces de l’improvisateur, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur le mystère Monk.
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