Erik Aliana à l’écoute de la forêt équatoriale, les berceuses coréennes de Yeahwon Shin et les clairs-obscurs de Rivière Noire, c’est le tour du monde musical proposé par Louis-Julien Nicolaou.
Rivière Noire, première gemme
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C’est l’album dont tout le monde parle. La rencontre entre le chanteur et guitariste Pascal Danae, le chanteur brésilien Orlando Morais et le bassiste Jean Lamoot (qui a notamment produit Salif Keita, Noir Désir ou encore Alain Bashung) a été un instant de grâce dont personne n’est revenu indemne : entente immédiate, chansons écrites en quelques heures, interprétations intuitives, tout s’est déroulé dans l’enchantement d’une inspiration prolongée. Habitué aux interminables séances de studio, Pascal exprime son émerveillement en cinq mots : « On n’a pas parlé ». La source de cette incroyable harmonie, le trio est ensuite allé la chercher au Mali où il a rencontré le griot Kassé Mady Diabaté, le joueur de kamélé n’goni Arouna Samaké ou le joueur de kora Madou Sidiki Diabaté. La douceur brute de la musique tissée par ces derniers s’est glissée comme un charme dans le folk feutré de Rivière Noire, prêtant à l’album de splendides clairs-obscurs. La première gemme de 2014.
The Road to Jajouka, free-jazz et extase
Au sud du Rif marocain, dans le village de Jajouka, réside une confrérie de musiciens-guérisseurs dont les ensorcelantes zurnas (hautbois à hanches doubles) possèdent, dit-on, le pouvoir de mener les âmes à la béatitude. Une telle réputation ne pouvait que séduire les musiciens épris d’autres mondes. De Brian Jones à Talvin Singh en passant par Ornette Coleman et Bill Laswell, ces Master Musicians of Jajouka aujourd’hui conduits par Bachir Attar ont été de nombreuses fois enregistrés, toujours avec l’espoir de recueillir un peu plus que de la musique. John Zorn, Marc Ribot, Howard Shore ou Lee Ranaldo sont quelques uns des musiciens qui leur rendent hommage dans The Road to Jajouka, album dont les bénéfices seront versés au profit de la Fondation Jajouka. De solos free en beats electro, la colle psychédélique prend parfaitement : on n’a pas fini de planer dans les brumes du Rif.
Les berceuses de Yeahwon Shin
Jeune chanteuse sud-coréenne vivant aujourd’hui à New-York, Yeahwon Shin s’est fait connaître grâce à un premier album de bossa-nova éthérée pour lequel elle reçu l’adoubement d’Egberto Gismonti. Lua Ya, son second opus la voit quitter ce terrain pour explorer un répertoire de berceuses empruntées à son pays d’origine. Sur un accompagnement très minimaliste (piano et accordéon), Shin se risque à l’épure totale, oubliant la virtuosité technique pour user de sa voix comme d’un cristal miroitant des songes tour à tour réconfortants (A Morning Song) ou vaguement inquiétants (The Moonwatcher And The Child). A la limite de la désincarnation, le disque fascine par la constante fragilité de ses naïves esquisses.
Aliana, le chant de la Grande Forêt
Après Ongod d’Altaï Khangaï, et From Another World, compilation de reprises de Bob Dylan, le label Buda Musique donne une nouvelle mesure de son excellence en publiant Just My Land d’Erik Aliana, chanteur d’une grande finesse, dont la voix suave est à elle seule un miracle. Elevé entre Yaoundé et son village du centre du Cameroun, Aliana valorise l’héritage culturel du peuple o’sananga en le mêlant à des orchestrations plus urbaines. Il s’attache en outre à transmettre la spiritualité de la Grande Forêt équatoriale dans ses tempos souples, ses polyphonies inspirées des chants pygmées et ses leçons de sagesse traditionnelle. La sincérité avec laquelle il s’acquitte de cette mission fait toute la beauté de Just My Land. Erik Aliana se produira le 4 février à l’Alhambra, dans le cadre du Festival des Voix.
Sandra Bessis et Rachid Brahim-Djelloul, tolérance et partage
La tradition séfarade est le miroir d’une histoire commune élaborée dans un espace commun, quand, à l’Ouest de la Méditerranée, les cultures juive, arabe et andalouse se côtoyaient et que leurs arts respectifs s’interpénétraient. Les chants en judéo-espagnol et en hébreu épousaient alors les structures arabo-andalouses dérivées du mâqâm et pouvaient se frotter aussi bien à la poésie arabe que, plus tard, aux modes turcs. Grande interprète de cette musique, Sandra Bessis noue dans Cordoue 21 un dialogue avec le chanteur et violoniste Rachid Brahim-Djelloul et, adoptant le processus de création – et d’incessante recréation – des Anciens, ressuscite l’esprit de tolérance et de partage qui fit la splendeur de l’Andalousie arabe, puis suit le fil de la diaspora juive jusque dans les Balkans, la Turquie et l’Algérie du 20e siècle.
Carminho, fadista aux affinités brésiliennes
Née dans une famille de fadistas, Carminho a entamé sa carrière à l’âge de douze ans. Ses qualités d’interprète lui ayant rapidement attiré la curiosité bienveillante des médias comme celle des vrais connaisseurs, elle est déjà considérée, à moins de trente ans, comme une étoile du fado. Alma, son deuxième album, la voit reprendre aussi bien Amalia Rodriguez que Vinicius de Moraes, restituer un fado classique en ne misant que sur l’émotion, et se livrer, dans trois bonus tout sauf dispensables, à de remarquables duos en compagnie de Chico Buarque, Milton Nascimiento et Nana Caymmi. A découvrir sur la scène de l’Alhambra le 31 janvier, en première partie d’une autre grande fadista, Cristina Branco.
Chalachew Ashenafi, maître azmari
Disparu en 2012 à l’âge de 46 ans, Chalachew Ashenafi appartenait à cette caste de chanteurs qu’on nomme en Ethiopie « azmari ». Présents à la campagne comme dans les villes, dans les fêtes religieuses comme dans le moindre débit de boisson, ces infatigables improvisateurs commentent la vie ordinaire à grands renforts de facéties et de jeux de langage en s’accompagnant d’une vièle à une corde dont l’origine est réputée divine, le masinqo. Ashenafi déployait une voix rocailleuse, souvent prête à se rompre et qui, pourtant, triomphait toujours des flots mélismatiques qui l’entraînaient. Un exercice périlleux dont l’azmari était passé maître et dont Fano, recueil de ses ultimes enregistrements, est le parfait témoignage.
Hommage à trois grandes figures des musiques du monde
Les derniers jours de 2013 ont été marqués par la disparition de trois figures de premier plan des musiques du monde. Nous l’avions évoqué à l’occasion de la sortie du dernier album d’Africando, projet dont il avait été l’initiateur et l’ardent promoteur, Ibrahima Sylla s’est éteint le 30 décembre. Il avait été un acteur décisif de l’émergence, à partir des années 80, des plus grands talents d’Afrique de l’Ouest sur la scène internationale, enregistrant et produisant Youssou N’Dour, Sory Kandia Kouyaté, Salif Keita, Ismaël Lô, Oumou Sangaré et bien d’autres encore. Le même jour s’éteignait la chanteuse Lakshmi Shankar, sœur du célèbre joueur de sitar et immense interprète de khyals et bhajans classiques. Une autre voix s’est tue, le 31 décembre, celle de Juan Moneo « El Torta », cantaor gitan impétueux, d’une rudesse confinant à la sauvagerie, excellant dans les styles festifs de Jerez de la Frontera (bulerías et tangos) comme dans le répertoire jondo (soleares et siguiriyas), mais dont la vie fut en partie dévorée par l’héroïne et l’alcool.
L’agenda des concerts
En attendant que s’ouvrent, à la fin du mois, les festivals Au Fil des Voix et Sons d’Hiver, dont les programmations sont, comme toujours, impeccables, on pourra dès la semaine prochaine se remettre à fréquenter avec assiduité le Studio de l’Ermitage et écouter, le 16 janvier, le folk mandingue de Deltas, le 17, la fanfare méditerranéenne de Fanfaraï et le 18, les spécialistes de l' »ethio groove » d’Akale Wube. Autre salle très fréquentable, le New Morning reçoit le duo Kouyaté & Neerman le 11, et Bombino et Abou Diarra le 15. Le 12 janvier, le Théâtre des Abbesses accueille pour sa part la chanteuse azérie Arzu Aliyeva. Pour écouter le jazz nourri d’influences brésiliennes et orientales d’Anissá Bensalah rendez-vous au Sunset le 15 janvier. Enfin, du 7 au 18 janvier, direction Nîmes, pour un Festival Flamenco là encore très prometteur. Parmi les nombreux spectacles proposés, on retiendra les concerts de « Moneito », jeune chanteur de Jerez qui rendra sûrement hommage à son oncle El Torta, et de l’excellente cantaora la Argentina (tous deux le 11 janvier). En ce qui concerne la danse, trois représentations au moins sont immanquables : celles de José Galán, dont la troupe se compose de danseurs valides et handicapés (le 8 janvier), de l’équilibriste iconoclaste Israel Galván (le 10) et de Rocío Molina (le 18), génie absolu de la danse actuelle, toutes disciplines confondues.
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