Les dix albums de musiques du monde ayant marqué l’année 2013, c’est le tour du monde musical proposé par Louis-Julien Nicolaou.
Bassekou Kouyaté, Jama Ko
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Ceci n’est pas un classement (comment établir un classement entre tant de musiques différentes ?). Mais, à tout seigneur tout honneur, le roi Bassekou siégera quand même en son sommet. D’abord, parce que Jama Ko est l’album qu’on aura le plus écouté tout au long de l’année. Ensuite, parce que les concerts donnés par le griot malien et son N’goni Ba (formation comprenant ses fils, frère et cousin, ainsi que sa femme, la chanteuse Ami Sacko) sont toujours de grands instants d’excitation et de bonheur. De son n’goni, petit luth à l’allure si modeste, Kouyaté sait tirer d’imprévisibles feux d’artifice. Dans Jama Ko, ils répercutent l’atmosphère électrique de Bamako lors du coup d’état de 2012. Par son urgence et sa splendeur, cet acte de résistance vaut ceux qu’accomplirent en leur temps Fela, Curtis Mayfield, Max Roach ou Peter Tosh.
http://www.youtube.com/watch?v=_Qs7L0VF7KY
Ibrahim Maalouf, Illusions
Jamais où on l’attend, ni jazz, ni funk, ni oriental, mais toujours un peu de tout ça, Ibrahim Maalouf a une nouvelle fois surpris son monde avec la sortie simultanée de deux albums aux esthétiques radicalement différentes : le très beau Something Came With The Sun de la chanteuse suédoise Isabel Sörling, qu’il a produit et arrangé, et le plus tourmenté mais non moins jouissif Illusions, qu’il signe sous son nom et qui reflète ses questionnements, craintes et espoirs personnels. Un disque puissant dont la texture sonore très particulière (la trompette de Maalouf y est soutenue par trois autres trompettes) ensorcelle les sens. A travers lui, Ibrahim poursuit son entreprise de décloisonnement, n’oubliant pas d’adresser au passage un petit pied de nez aux puristes en reprenant – à merveille – le Unfaithful de Rihanna. Illusions est de ces rares albums qu’on aime un peu plus à chaque écoute. On le redis donc, Ibrahim Maalouf est grand. Très grand.
http://www.youtube.com/watch?v=9JYlB5gMiGg
Altaï Khangaï, Ongod
Pour restituer la tradition mongole dans toute sa diversité, les trois musiciens d’Altaï Khangaï usent de nombreux instruments et techniques vocales, depuis les fameuses vièles à tête de cheval (morin khuur) jusqu’au luth tovshuur en passant par des flûtes, cloches et tambours, sans oublier bien sûr, le chant diphonique caractéristique des peuples nomades habitant les steppes de la Haute Asie. Ils en soulignent ainsi la rusticité aussi bien que la majesté, les chevauchées ardentes alternant avec les ballades nostalgiques, le souffle guttural hérité du shamanisme avec le chant perlé des cithares yoochin et yatga, autant de contrastes qui font d’Ongod un disque des plus précieux.
Bombino, Nomad
Et si le meilleur album de rock de l’année venait du Niger ? En enfourchant la moto rugissante de Dan Auerbach, Bombino réussit à tracer une surprenante piste entre l’immensité saharienne et la grand-route menant à Nashville. La moitié des Black Keys se chargeant de lui confectionner un son saturé d’orages contenus, son blues touareg se mue en un rock garage psyché aussi plombé de chaleur et de cambouis qu’un après-midi d’été poussiéreux au Sud de nulle part. Une réussite complète, à rapprocher du Taboussizé de Mamar Kassey pour la tradition nigérienne, et du superbe Chatma de Tamikrest pour celle des Touaregs.
Family Atlantica, Family Atlantica
Tribalisme amazonien et jazz latin, mystères afro et vaudou caribéen, tropicalisme et psychédélisme, le premier album de Family Atlantica est un joyeux fouillis de fluides magiques et de danses rituelles. Les incantations et les libations s’y succèdent, en l’honneur des ancêtres, des esprits, du soleil et de l’eau ; on boit l’iboka, on se prosterne devant les pyramides mayas, et on finit par s’engloutir dans l’esprit de la mer. L’irrationalité permanente, proche du « réalisme magique » cher à l’écrivain guatémaltèque Miguel Ángel Asturias, dans laquelle baigne le premier album de la bande à Luzmira Zerpa et Jack Yglesias, est assez hallucinogène pour qu’on y plonge toujours avec le même ravissement.
Natacha Atlas, Expressions
Non contente d’être une grande interprète dotée d’une curiosité qui la pousse à vouloir toujours glisser les soyeux mélismes de sa voix dans les registres les plus inattendus, Natacha Atlas est aussi une musicienne talentueuse qui s’investit pleinement, aux côtés de ses collaborateurs Christian Louboutin et Samy Bishai, dans les arrangements de ses chansons. Ceux-ci n’ont rien d’accessoires dans Expressions, puisque s’y entremêlent en un subtil canevas, instruments arabes et piano, harmonica et cordes de l’Orchestre de Chambre de Toulouse. Plus qu’un disque un rêve, écrivions-nous à la sortie d’Expressions. Le rêve s’est prolongé toute l’année.
Tigran Hamasyan, Shadow Theater
2013 a vu passer d’excellents albums un peu en marge du jazz : Kairos de Kalil Chahine, Sketches of Ethiopia de Mulatu Astatke, Eggūn d’Omar Sosa, New Day de Harold López-Nussa, ou encore No Deal de Mélanie de Biasio. Avec Tigran Hamasyan, on s’écarte encore plus de la norme pour atteindre une nouvelle galaxie. Comme Ibrahim Maalouf, le jeune homme se soucie peu de jouer selon les règles : ternaire, binaire, impaire, modal, harmonique, utilisant des samples et des effets, trouvant son inspiration dans des airs arméniens, baroques ou contemporains, son théâtre d’ombres (Shadow Theatre) ne se fixe guère de limite et n’admet qu’une maîtresse, la mélodie. Chantée ou passant du piano aux cordes, elle est l’unique guide dans l’éblouissant dédale composé par un Tigran bouillonnant d’inventivité, prodigieux architecte d’extases synesthésiques.
http://www.youtube.com/watch?v=7kXWAhfyU7c
Canzoniere Grecanico Salentino, Pizzica Indiavolata
Les origines de la tarantelle sont mystérieuses. Une légende veut que cette danse ait appartenu à un rituel magico-thérapeutique servant à expulser le venin d’une blessure suite à une piqûre d’araignée. A supposer que cette légende possède un fond de vérité, on comprend mieux la vivacité du groupe Canzoniere Grecanico Salentino et l’incroyable ferveur lors de ses concerts. Propulsés par le fracas des tambourins, le violon de Mauro Durante et la voix de Maria Mazzotta s’ensorcellent mutuellement, saisissant l’auditeur dans leur joyeux tourbillon. Inévitablement plus sage, l’album restitue néanmoins la tradition des Pouilles avec soin et ouvre un fructueux dialogue avec Ballaké Sissoko et Piers Faccini.
http://vimeo.com/55776360
Dieuf-Dieul de Thiès, Aw Sa Yone Vol.1
Dans la sphère africaine, l’année a été riche en superbes rééditions : le génie guinéen Sory Kandia Kouyaté et le Grand Kallé chez Sterns, BLO et Ebo Taylor chez Mr Bongo, Kenya Special chez Soundway, l’Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou chez Analog Africa. Inutile de chipoter, tous ces disques sont excellents. Toutefois, on garde un faible pour Aw Ya Sone, réédition chez Teranga Beat de bandes enregistrées au début des années 80 par l’orchestre sénégalais Dieuf-Dieul de Thiès. Dans une atmosphère moite tissée par des cuivres très purs (notamment le saxophone alto et ses merveilleux solos), une guitare saturée en plein trip psychédélique et un tambour d’aisselle traditionnel, les voix exceptionnelles d’Assane Camara, Bassirou Sarr et Gora MBaye semblent vibrer au contact d’une transcendance impalpable. Ces enregistrements en ont, par bonheur, conservé le doux tremblement.
Sidi Touré, Alafia
Parmi les autre sorties importantes de l’année, on retiendra encore un certain nombre de premiers albums réussis, ceux de Nishtiman, Egyptian Project, Mohamed Abozekry (Chaos) ou encore Titi Zaro (Poème de Zoréol) et d’opus inclassables comme ceux de Jun Miyake (Lost Memory Theatre) et Yom (The Empire of Love). Mais 2013 restera aussi marquée par la mobilisation des musiciens maliens en faveur de la paix. Les disques se sont succédé (Guerrier de Cheick Tidiane Seck, Albala de Samba Touré, Mon Pays de Vieux Farka Touré…), tous de grande qualité. Dans ce torrent de (très) bonne musique, on n’a peut-être pas accordé assez d’attention au Alafia de Sidi Touré, pourtant impeccable de bout en bout. Ceci n’est donc pas, on le répète, un classement. Car, placé en dernier, il se pourrait bien qu’Alafia soit pour nous le meilleur album de l’année.
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