Mohamed Rouabhi propose une tentative audacieuse en croisant le discours du leader nationaliste noir et les récits de rappeurs.
Rien de plus rigide qu’un discours. Et rien de moins figé que ce Malcolm X, spectacle nomade France, Italie, Brésil, Saint-Denis… et en constante évolution. Comment Mohamed Rouabhi, auteur, acteur et metteur en scène, s’y est-il pris ? En mettant à égalité de valeur tout ce qui compose le spectacle : l’élaboration d’un texte théâtral composé à partir d’un discours de Malcolm X, prononcé devant une communauté composée de Noirs et de Blancs quelques mois avant sa mort, et les lyrics composés par D’ et Spike, deux rappeurs de Bobigny, et par Inès, chanteuse créole. En croisant la dramatisation suscitée par le discours de l’orateur avec les projections d’extraits de films américains du xxe siècle, entre fiction et documentaire. Images datées, anachroniques, scandaleuses, mais d’une violence tout actuelle.
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L’alchimie de Malcolm X repose sur l’idée du trafic : la circulation des idées et des peuples, le commerce illicite, la manipulation des cerveaux et le transport des corps. Tout ce qui constitue une histoire commune est énoncé à partir de la recomposition d’une parole historique confrontée à l’écriture constante de nouveaux rap ou chants créoles. Intégrés au fur et à mesure des représentations de la pièce, ils modifient les marques du discours avant qu’elles ne se figent. Les images du Ku Klux Klan, de propagande, d’information ou de fiction, ne servent pas seulement à illustrer ce discours où Malcolm X passe en revue tous les thèmes qui lui sont chers (du refus de la notion de sous-citoyen à la responsabilité des médias face au détournement d’une information subjective) : elles font écho aux récits des rappeurs sur la cité, l’Algérie, la colonisation, l’esclavage.
On pense à la mise en garde de l’historien Pascal Blanchard, auteur du livre De l’indigène à l’émigré : « Des colonies du passé à nos banlieues, on retrouve les quatre figures de la conquête, pivot de toute l’idéologie et de la littérature coloniales le missionnaire, l’administrateur, l’enseignant et le militaire. En opérant un quadrillage (policier, éducatif, social, administratif), la réponse à la « ghettoïsation » progressive des banlieues, c’est d’abord de « civiliser » l’immigré type. »
Contre ce brouillage de piste idéologique, Malcolm X propose une forme de représentation nourrie de l’engagement de chaque interprète, où la gangue du discours est cassée au profit d’une parole témoin. A cappella, Inès chante une prière qu’elle a écrite en se disant qu’elle aurait fort bien pu être formulée en 1848, « date réelle de l’abolition de l’esclavage, par une femme noire qui demande à Dieu de lui donner la force de se relever après quatre cents ans d’esclavage ». Se relever, c’est ce mouvement qui dynamise la structure de Malcolm X et lui évite de finir en figure de style. L’antistatue du commandeur.
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