Les habitués de la ligne 2 du métro parisien le connaissent bien, lui et les chansons déchirantes qu’il entonne de sa voix cassée depuis bientôt quinze ans, équipé d’un petit clavier Casio. Malgré les nombreuses approches des maisons de disques, il sortira son premier album début 2019, sur un label indépendant, Almost Musique. Rencontre croisée avec Mohamed Lamouri et Benjamin Caschera, de la Souterraine
Tu viens de Tlemcen en Algérie, c’est une ville où il y a beaucoup de musique ?
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Mohamed Lamouri : Oui, beaucoup de musiques arabo-andalouses, et puis c’est la ville de Rachid Baba Ahmed, un très grand producteur de raï. C’était un type habillé en para-militaire, un peu à la Fidel Castro, un peu hippy. Il y a des compilations de productions de Rachid Baba Ahmed qui sont assez dingues, une sorte de raï-laser… On ne peut pas dire si c’était moderne pour l’époque ou pas, il n’y avait pas de références pour comparer. Mais il a fait un paquet de tubes. Il a fait découvrir pleins d’artiste et avait un grand studio là-bas, le plus grand d’Afrique paraît-il. Il a été tué en 1997 pendant le ramadan, devant son magasin de disques. Le raï, c’est une musique subversive, il ne faut pas l’oublier. Cheb Hasni, dont je suis un grand fan, a aussi été assassiné en 1994 à l’âge de 26 ans. Il a quand même eu le temps d’enregistrer une centaine d’albums.
https://www.youtube.com/watch?v=WKKtYFZmWmE
Tu es né dans une famille de musiciens ?
Non, pas du tout. J’ai commencé en chantant a cappella dans la rue, et petit à petit, j’ai appris à jouer du synthétiseur, à 11 ans. Je chantais ce que j’entendais à la télé, ce qui passait dans l’émission Bled Music. C’était un programme très connu, où toutes les stars de la chanson algérienne passaient. C’était diffusé tous les jeudi soirs, tout le monde regardait. Il y avait beaucoup d’artistes produits par Rachid Baba Ahmed.
http://www.youtube.com/watch?v=x7TMfrHgHLU
Cheb Hasni, Rachid Baba Ahmed… Tous deux ont été assassinés par le groupement islamiste ?
C’est ce que les gens disent, mais c’est difficile de l’affirmer, honnêtement. J’étais petit à l’époque. On rentrait à la maison en entendant fuser les balles au loin.
C’est bien Cheb Hasni que tu as en photo sur ton clavier Casio, avec lequel tu as arpenté le métro de Paris ?
Oui, c’est bien lui, mais j’ai changé de clavier cette année. L’autre, je l’ai utilisé pendant des années. Mais le nouveau a une meilleure qualité de rythmique. Le fait d’avoir joué en groupe m’a aussi poussé à vouloir un meilleur son, un meilleur équipement. Ça booste les chansons. Mais c’est toujours un Casio !
http://www.youtube.com/watch?v=PBNppcTPM-I
Tu arrives d’Algérie en janvier 2003, qu’est-ce qui t’a poussé à venir en France ?
La musique, tout simplement. Je faisais pas mal de choses différentes, de la musique arabo-andalouse notamment, avec un groupe. J’étais aussi percussionniste pour une chorale. On a été invités à un festival de musique à La Rochelle, ensuite je suis venu à Paris. Ma grand-tante décédée en 2008, m’a hébergé. Au début, je suis resté un an et demi sans faire de musique. Je traînais, tranquille, mais je n’avais pas du tout d’argent. Et puis à force d’arpenter Paris et le métro, j’ai rencontré d’autres musiciens qui vendaient leurs CD dans la rue. C’est là que je me suis lancé, c’était un peu quitte ou double. Si j’amassais un peu d’argent, je pouvais m’acheter du matériel.
C’est donc fin 2004 que tu commences à jouer dans le métro. Tu démarres sans autorisation ?
Oui, plusieurs musiciens en avaient, mais pas moi. Je me suis fait virer plusieurs fois par la police, notamment une fois à Bastille, mais toujours calmement. Et puis quand ils me laissaient dehors et qu’ils partaient, je retournais dans le métro (rires).
Et ça n’était pas compliqué avec les agents de la RATP ?
Au début, si, mais aujourd’hui, je connais bien le système. Je sais qui commence ou termine son service à telle ou telle heure. Je connais bien leurs horaires. Ils me serrent la main et j’ai mon pass Navigo, donc tout va bien. Parfois, quand ils contrôlent les gens, ils me laissent directement passer.
Pendant longtemps, tu n’as vécu que de la musique dans le métro ? C’était devenu une nécessité économique pour toi ?
Oui, mais je me suis toujours dit que ça devait rester un exercice, pas une fin en soi. Ça m’a permis de rencontrer beaucoup de gens, comme Benjamin Caschera, de La Souterraine, qui me produit désormais. Pendant dix ans, j’ai joué six heures par jour, cinq jours par semaine. C’était devenu une partie intégrante de ma vie.
Benjamin, tu fais partie des nombreuses personnes du milieu de la musique qui ont abordé Mohamed, comment l’as-tu convaincu de travailler avec toi ?
Benjamin Caschera : Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y avait pleins d’employés de maison de disques, de directeurs artistiques, qui lui ont laissé leur carte, parce qu’ils pensaient qu’il y avait quelque chose à faire avec Mohamed. Quand il ne connaît pas, il ne rappelle pas. C’était devenu une espèce de mythe, tout le monde voulait le faire enregistrer avec un groupe. En fait, l’important, c’était d’essayer de le connaître, de sympathiser. J’ai récupéré son numéro via le réalisateur d’un film dans lequel Mohamed fait une apparition, Rives. On a commencé à se voir dans le bar Le Zorba à Belleville, avec des rendez-vous le dimanche soir à 23h30 après sa tournée. On a décidé de faire une captation aux Buttes Chaumont, qui est devenue la première mixtape de Mohamed Lamouri sortie sur La Souterraine en 2014. On voulait aussi répertorier les chansons de Mohamed, un peu comme des collecteurs, pour ensuite faire travailler des musiciens dessus. Je ne sais pas combien de chansons il a dans son répertoire… Il a une douzaine de compositions, mais il connaît toute la discographie de Cheb Hasni, qui sortait une cassette le matin, une cassette l’après-midi et une cassette le soir.
http://www.youtube.com/watch?v=ofgnen-K5kE
Mohamed, pourquoi as-tu rembarré tous ces représentants de maisons de disques reconnues ?
Mohamed Lamouri : Je ne les rembarre pas, je prends leurs cartes. Par politesse (rires). Il faut qu’il y ait un courant qui passe, et ça n’est pas arrivé souvent.
Il me semble que tu as eu l’occasion de chanter avec Rachid Taha, décédé le 12 septembre dernier…
Oui, c’était à la fête de la musique, il y a deux ans. Il jouait au Cannibale café à Paris, près de Couronnes, et moi je jouais au même endroit la veille. Mais je suis quand même allé le voir jouer le lendemain, et le programmateur nous a présentés. Rachid Taha commence le concert, et je suis invité sur scène. On a chanté, c’était la folie. Il était hyper cool. Bon, il se défonçait trop, c’est vrai. Avant de monter sur scène, il était déjà défoncé. Je suis retourné joué au Cannibale quelques temps plus tard, et un producteur de Sony était là. On a bu un verre, et il m’a dit : « Mohamed, si je te dis que demain, on t’enregistre un album, qu’est-ce que tu en penses ? » J’ai répondu : « Quoi ? Bah écoute, si tu veux qu’on enregistre un album, je ne peux pas, là. » Il continue : « On s’occupe de tout l’administratif, les papiers etc… » Je l’ai regardé, j’ai regardé la nana qui était avec lui, et je lui ai dit : « Bon, je ne vous laisse pas mon numéro, les gars« . Je travaillais déjà avec Benjamin, et je n’ai pas envie de mélanger les frites et les omelettes. Je suis déjà très bien comme ça, le groupe fonctionne, on travaille…
Pour en revenir au métro, est-ce qu’il y a des heures où tu préfères jouer ?
Souvent, je joue le matin, et je me repose l’après-midi. Mais c’est un peu comme je veux. J’aime bien jouer les soir et les week-ends parce que les gens sont plus décontractés, ils font la fête, ils sont plus cools. Mais le lundi ou le mardi, c’est même pas la peine. Quand les gens sont bourrés, c’est mieux, certains dansent, ils ont une bière dans la main et ils lâchent le billet avec l’autre. Quand Michael Jackson est mort, j’ai joué Billie Jean sur la ligne 8. Les gens dansaient, c’est super.
http://www.youtube.com/watch?v=DOly6_VNYD4
Tu es surtout connu par les usagés de la ligne 2. C’est la seule où tu chantes actuellement ?
J’ai commencé sur la ligne 10, mais c’était dur, elle peut vite être déserte. Ensuite j’ai pas mal joué sur la 8, ou sur la 6, mais la 2 est bien mieux. Elle traverse des quartiers populaires, Belleville, Jaurès, La Chapelle, Barbès… Et après c’est les quartiers plus chics, vers Anvers. En général, je vais de Courcelles à Père Lachaise, ou jusqu’à Nation s’il y a du monde. J’ai aussi fait la ligne 4, mais il y a trop de problèmes dessus.
Benjamin, il semble que Mohamed est assez populaires dans ces quartiers, justement…
Benjamin Caschera : Quand on se retrouve vers Barbès, tout le monde le reconnaît dans la rue. Pour l’anecdote, je m’étais fait tirer dix balles dans ma poche, mais dès qu’ils ont vu que j’étais avec Mohamed, le type a rapporté le billet.
Mohamed, tu comptes jouer dans le métro encore longtemps ?
Mohamed Lamouri : Pour le moment je continue, mais on verra quand l’album sera sorti, début 2019. Je serai certainement trop occupé pour ça…
Propos recueillis par Brice Miclet
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