Son tout premier concert est prévu à la fin du mois dans une Maroquinerie remplie en à peine deux minutes. Inespéré pour le jeune Moha La Squale qui a écrit son premier texte il y a moins d’un an. Interview exclusive, en studio, pour mieux comprendre l’ascension fulgurante de « Bendero ».
Tout seul. Dimanche 23 juillet 2017, Mohamed se connecte sur Facebook pour mettre en ligne une vidéo. Regard noir, sourire à l’envers, le jeune Parisien rappe sa vie dans une cuisine en bordel, avec un joint à moitié consumé et des cadavres de bouteilles pour seuls spectateurs. Devant leur écran, ils sont rapidement des milliers à liker et à partager cette minute trente saisissante de charisme et de spontanéité. Dans les quelques lignes qui surmontent le post, Moha signe La Squale. Et il donne déjà rendez-vous : “La suite dimanche prochain.”
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De juillet à décembre, le natif du 94 ne ratera aucun rencard. Chaque dimanche, c’est un public d’internautes de plus en plus nombreux, qui se chargera de diffuser une rumeur persistante qui sonne désormais comme une certitude. Dans le XXe arrondissement de Paris, au milieu du quartier de La Banane, un jeune rappeur de 22 ans est bien parti pour tout cramer.
https://www.instagram.com/p/BfLXQJbgqZj/?hl=fr&taken-by=azzedinefall
Plus de six mois se sont écoulés depuis l’apparition de Moha La Squale sur les timelines des fans de rap français. Le début du mois de février 2018 n’a pas encore congelé Paris quand on le retrouve dans le confort étriqué du studio qui allume ses nuits blanches. C’est ici que MHD a enregistré ses premiers tubes et que Moha bosse sur son premier album entre deux vannes bienveillantes de Tarik, le producteur qui réalise ses sons depuis le début de l’aventure. Dans la chaleur du studio enfumé, La Squale se dévoile, ressert du champagne, croque l’objectif du photographe et s’émerveille de son parcours accéléré, lui qui n’avait jamais écrit le moindre texte de rap il y a tout juste neuf mois. Déterminé à profiter au maximum de son ascension fulgurante, Moha n’hésitera pas à crier sa motivation en fin d’interview : « Je suis là pour tout niquer ! »
Beaucoup de gens ont pris l’habitude de suivre tes vidéos sur les réseaux sociaux mais on sait finalement peu de choses sur toi. J’ai bien compris où et quand l’aventure de La Squale avait commencé mais peux-tu nous éclairer sur ton parcours avant de commencer le rap ?
Moha La Squale – Je suis né dans le 94. J’avais deux ans quand je suis arrivé dans le XXème. La famille s’est agrandie et on a bougé mais je n’ai aucun souvenir de Créteil. Je suis un peu au milieu de la fratrie : j’ai un grand frère, une grande soeur et deux petites soeurs. J’habite avec ma copine maintenant mais je suis toujours à La Banane, dans le même quartier.
Quel était ton rapport au rap quand tu étais gamin ? Tu écoutais beaucoup de musique vers 12 ou 13 ans ?
Pour moi, gamin c’était un peu plus tôt parce que vers 12 ou 13 ans j’étais déjà sur le terrain (rires). Même quand j’avais 8 ans le rap était ma musique d’ambiance. J’aimais bien ça, et je ne pouvais pas y échapper. Mais je ne captais pas trop la musique en général. Je n’étais pas du genre à chanter les textes mais j’aimais bien le rap, de loin. Il y en avait plein autour de moi mais je n’avais pas un rapport particulier avec cette culture. Le souvenir de rap le plus lointain qui me vient à l’esprit, c’est Sniper : Gravé dans la roche. J’écoutais ça en boucle avec mon frère. J’avais évidemment des délires d’enfant vers 12 ans, mais je ne faisais pas que des trucs de gamin tu vois. Je vendais de la drogue, tout en allant à l’école. Je suis allé jusqu’en seconde… Enfin à ce moment-là, je n’allais plus trop en cours. Je m’en rappelle comme si c’était hier. J’arrivais devant le lycée en scooter. J’étais content, j’avais de l’argent… Je garais mon scoot, je regardais le bâtiment et puis je voulais pas laisser mon scooter (rires). J’étais en décalage et je me disais que je n’avais pas besoin de l’école. Ma mère pétait les plombs. Au bout d’un moment j’ai été viré à cause de mes absences et puis j’ai eu 16 ans, et l’école n’était plus obligatoire. J’étais dans la rue, je faisais ma vie.
C’est à ce moment que l’engrenage s’accélère et que tu tombes en prison deux fois. Tu as eu le sentiment que tu risquais de gâcher ta vie ?
Ouais. Dès que je suis sorti de prison, je me suis dit : « Il faut y aller, arrête tes conneries ». Mais ce n’est pas venu direct. Pour moi, vendre de la drogue c’était la vie normale. Quand je suis sorti, j’ai un peu refait le con parce qu’il me fallait de l’argent et puis j’ai cherché un travail à côté. Il fallait que je me reprenne. J’ai enchaîné plusieurs tafs de coursier. Genre Uber Eats, t’as capté ? J’ai fait plusieurs tafs de coursier. A côté de ça, j’aimais bien passer une tête dans les clips de rap qui étaient tournés au quartier. Un soir, j’étais sur le terrain et le mec qui réalisait les vidéos de mon pote Jo Le Phéno est passé. Il s’appelle Hannibal. Hannibal Mahé. T’as vu il a un vrai blaze hein !? (rires) C’est un bon, un guerrier. C’est lui qui réalise mes vidéos depuis le début sous le nom de 420. Et dire qu’au début je le prenais pour un boloss. Je me demandais ce qu’il foutait là, à traîner rue Duris alors qu’on le connaissait pas. En fait c’est un baron de ouf. C’est devenu mon pote. Jo c’est toujours mon pote aussi. D’ailleurs, il sera présent à mon concert le 24 avec un autre pote à moi qui s’appelle Tino. Ils feront la première partie.
Okay. Tino c’est le fameux pote qui t’accompagne à l’écran dans le court métrage La Graine que tout le monde ressort sur YouTube en ce moment ? Comment tu t’es retrouvé à aller tourner un film en Belgique bien avant le projet La Squale ?
C’est Hannibal qui m’a mis en contact avec Barney Frydman, le réalisateur de La Graine. Pendant le tournage, Barney nous avait laissé son loft à Bruxelles. Wah, c’était carré ! On était comme des oufs. Au tout début, il m’avait dit de venir pour un casting. Mois je croyais que c’était sûr. Je ne voulais pas aller en Belgique, j’étais tranquille moi à Paris. Mais bon, dans ma vie il ne se passait pas grand-chose. Je ne me suis pas posé de questions, j’ai foncé. Je me disais que même si je n’étais pas pris, ça me faisait un aller-retour en Belgique gratuit, t’as capté ? Le jour du casting, je suis arrivé tranquille. On jouait au ping-pong et puis une grosse caméra est arrivée. J’étais impressionné. En fait c’était une petite interview tranquille. Le casting est sur Internet d’ailleurs. Il y a plein de gens qui m’ont cramé. Ils l’ont retrouvé et ils l’ont mis en ligne. Quand le film a été diffusé, c’était une fierté de malade. Je n’attendais que ça et ça m’a grave motivé à continuer dans cette voie.
https://vimeo.com/107467937
C’est sur le tournage de La Graine que tu as pris la décision de tenter le cours Florent ?
Ouais j’ai rencontré plein de gens sur le tournage et ils m’ont bien motivé. Je ne me souviens pas sur quel texte j’ai passé les auditions. Mais c’était une petite semaine de stage de repérage. Je suis arrivé en retard le premier jour. On était une vingtaine d’élèves et j’ai été pris. Une immense découverte. Je me suis ouvert au monde à ce moment-là. Pour la première fois de ma vie, je n’étais qu’avec des mecs pas comme moi. Je venais vraiment de la rue et je n’avais jamais croisé des gens comme ça tu vois. Je ne m’étais jamais dit que j’aurais un jour la possibilité d’être acteur. C’était un rêve éloigné. Petit, je rêvais de cinéma et de passer à la télé donc c’était une occasion de fou. En fait le Cours Florent, ce n’est pas très cher. Je crois que c’était quelque chose comme 400 euros l’année. Il y a aussi une classe libre qui est offerte pendant deux ans. En arrivant là-bas, j’ai réalisé que mon cerveau n’en avait pas vu assez. Je retrouvais les images que j’avais tout petit à l’école. Quand j’aimais bien l’Histoire : c’était mon cours préféré. Un truc concret avec les peuples à l’ancienne ! C’était pareil pour le théâtre : tout d’un coup, j’ai eu besoin de savoir le plus de choses possible. J’ai fait presque deux ans là-bas mais je n’y vais plus trop en ce moment. Je ne peux plus tenir le rythme car mon projet musical s’est accéléré entre temps. Je prépare mon album.
Le nom que tu as choisi pour rapper est une référence au film La Squale qui est sorti en 2000 ? Tu devais avoir genre cinq ans à l’époque.
Bien sûr que j’ai vu le film, t’es fou ! Je crois que j’avais 8 ans quand je l’ai vu mais mon nom est surtout un clin d’oeil à mon frère. C’était son blaze à la base. La Haine, Ma 6-T va crack-er… Tous ces films-là sur la tess, je les ai saignés et je les ai vus hyper jeune. Après, les meilleurs pour moi ça reste les trucs comme Heat ou Les Affranchis. Quels classiques !
Quand je t’observais avec le photographe pendant le shooting, j’avais l’impression de revoir le Moha des freestyles en vidéo. D’où vient cette volonté de croquer l’objectif ?
Ah, nous on est là mon gars ! Ce n’est pas que j’aime bien être pris en photo hein. J’ai vraiment pris goût à la caméra pendant le tournage de La Graine en fait. C’était un rêve pendant trois semaines et puis c’était terminé… Maintenant que j’ai la possibilité de continuer je suis trop chaud !
Tu te souviens du jour où tu as écrit ton premier texte de rap ? Qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans la musique ?
La première vidéo est sortie pendant l’été 2017. Deux mois avant, j’avais commencé à écrire. Vers le mois de mai je pense. Ca s’est imposé comme une évidence. J’écoutais des instrus sur mon scoot et je me suis pris au jeu petit à petit. Quand on était posé avec les potes au quartier, je calais souvent des phases et ça passait crème. Je parle au passé mais c’est hyper récent en fait… Mes premières tentatives datent d’il y a moins d’un an putain. C’est fou. J’entendais souvent parler de Tarik et de son studio mais je n’avais jamais vu ni l’un ni l’autre ! Je savais qu’il enregistrait Jo et mon pote Tino qui est dans le groupe 19 Réseaux. Je me suis dit qu’il fallait que je vienne poser chez lui à un moment ou à un autre.
Dans le projet Moha La Squale, l’image est au moins aussi importante que le son. Tu n’as jamais sorti un morceau sans images. Tu penses qu’aujourd’hui c’est impossible de percer par la simple force d’un son ?
Il y a encore six mois je ne connaissais pas Soundcloud. Je ne captais rien à tout ça : je n’avais jamais eu Deezer. Aujourd’hui je suis en streaming sur des plateformes que je ne connaissais même pas. L’image c’est ce que je fais. Le théâtre est devenu un besoin dans ma vie mais il manquait un élément et je l’ai trouvé avec le rap. C’était presque naturel.
En donnant rendez-vous chaque dimanche sur Facebook, il y avait quand même une approche particulière et quelque chose de très réfléchi derrière.
Aha t’es un chacal ! Ca faisait deux mois que j’écrivais. Je faisais écouter à mes potes et ils kiffaient tu vois. Mais évidemment, j’avais envie d’aller plus loin. C’était un choix aussi, je vais pas te mentir. Je me suis dit : « Si je me lance de le rap, il faut que je le fasse bien ». Je passais déjà des castings avec le cours Florent, ça commençait à avancer un peu… En gros, il ne fallait pas que je me baise. Dans le freestyle Pas de hasard, je dis « 420 le seul associé ». On a monté le projet ensemble. Il y avait une idée : je pense que c’est impossible d’arriver avec que du son en 2018. Dès la publication du deuxième freestyle, j’ai compris qu’il se passait vraiment un truc. J’avais fait 50 000 vues en une journée je crois. C’était un délire. Du coup, je n’ai pas arrêté de bosser. Il fallait charbonner ! j’avais tellement al tête dedans que je ne me rendais pas compte de ce qu’il se passait autour. Je reviens de très loin, j’avais les crocs ! Et je les ai toujours. S’il y avait eu moyen de faire des clips en 3D ou en hologramme , je serais venu rapper dans ton salon frérot !
En ce moment, beaucoup de rappeurs français essaient de se faire une place au cinéma. Toi tu fais un peu le chemin en sens inverse mais j’imagine que l’avenir s’écrit aussi sur grand écran dans ton esprit.
C’est un petit peu plus une question de choix aujourd’hui. J’ai passé pas mal de castings à une époque mais c’est sûr que j’ai la chance d’avoir des propositions depuis La Squale. Il ne faut pas que je fasse le con. Le but c’est de temporiser et de prendre les bonnes décisions. Je n’ai pas envie de foncer droit dans le mur pour me briser.
Comment as-tu accueilli toutes les sollicitations des labels, de la presse et des marques quand les vidéos ont commencé à gagner en viralité ?
J’ai procédé de la même façon que je le fais aujourd’hui avec les propositions de cinéma. J’ai temporisé. Tranquille. Je suis un mec qui marche droit, je marche au feeling. J’ai déjà refusé des rôles qui ne me plaisaient pas avant d’être connu pour mon projet rap. C’était important pour moi de compter sur une bonne équipe avec des bêtes de chacals.
Comment tu anticipes le concert du 24 février à La Maroquinerie alors que tu n’es jamais monté sur une scène avec un micro ?
Il s’est passé tellement de trucs ces derniers mois. L’année dernière je fêtais mes 22 ans et je ne pensais même pas à faire du rap. Ma meuf avait débarqué à l’appart avec deux gros ballons. Personne ne m’avait souhaité mon anniversaire à part elle. Elle avait décoré l’appart pendant que je dormais avec ses petits moyens. J’étais ému. C’est ma vie ça ! Attention, je suis hyper chaud pour La Maroquinerie aussi hein. Je vais répéter en studio comme un ouf pendant tout le mois de février. Je veux voir mon public et savoir qui sont les gens qui m’écoutent. Amenez-moi juste un micro, je suis là pour tout niquer !!
Propos recueillis par Azzedine Fall
Moha La Squale sera en concert (complet) à La Maroquinerie le 24 février prochain.
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