La mer est toujours aussi bleue, le stand Rough Trade vend déjà des t-shirt Everything Now et le Primavera Sound nous rèserve encore des surprises : on n’est toujours pas déçu de notre séjour en terres catalanes.
« Mais quel bouffon« . Le garçon, bob vissé sur le crâne, secoue la tête en tirant sur sa clope. Et sa copine de le pousser gentiment, avant de répondre en le taquinant : « Non, arrête, il est cool ! Je crois que je suis amoureuse de lui« . Voilà qui résume parfaitement la prestation de la tête d’affiche de cette deuxième journée de Primavera. Sous les yeux d’un public massif, Mac DeMarco vient de quitter son jean, de lâcher un rot tonitruant et de se mettre en slip, avant d’empoigner sa guitare et de lancer Dreamin.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
DeMarco, compositeur génial, mais en slip
Bon, il serait quand même assez malvenu de s’en tenir aux pitreries du songwriter américain, même si ces dernières font partie intégrante de son personnage. Effectivement, force est de constater que chacune de ses chansons porte la marque des grands compositeurs. Tant du coté de ses tubes (Viceroy, My Kind Of Woman) que de son dernier album, plus acoustique (This Old Dog, dont il nous parlait longuement ici), les titres de Mac DeMarco auront pris toute leur ampleur pendant ces 90 minutes de live. Et en dépit d’un batteur nu sur son tabouret, de musiciens frappant n’importe comment sur leurs percussions et d’une certaine tendance à l’exhibitionnisme, le musicien aura prouvé, en une heure et demie de concert, que ses chansons, si simples puissent-elles paraitre, sont bien moins crétines qu’elles n’en ont l’air. Et que toutes, sans exception, sont le fruit d’un incontestable talent de composition.
El strip tease musical de Mac DeMarco en @Primavera_Sound #festival pic.twitter.com/8xCpXDvkCW
— ALBERTO SCHWARZMANN (@alschwarzmann) 3 juin 2017
La classe de Sampha
Juste avant lui et sous un soleil brûlant, Sampha ravissait également les spectateurs de Primavera. Revisitant la soul à grands renforts d’influences électroniques, le chanteur n’a eu de cesse que de se faire acclamer (à raison) par un public en transe. En même temps, difficile de ne pas tomber sous le charme des chansons du Britannique, qui aura mené ses spectateurs là où bon lui semblait. Balades lacrymales en tête à tête avec son piano, matraquage de pads en compagnie de ses musiciens, chant doux, rageur, rêveur : l’homme sait tout faire, et s’impose comme une figure résolument incontournable de la musique contemporaine (il a d’ailleurs collaboré avec les plus grands, de Kanye West à Drake, en passant par SBTRKT). L’on peut d’ores et déjà affirmer que son show, principalement composé de chansons tirées de son premier album, aura été l’un des plus marquants de cette édition du festival.
Swans, l’assourdissante noirceur
Et puis, la nuit tombe, l’ombre se lève sur Barcelone. Tandis que le concert de The xx, quelque peu platonique, nous écarte de la grande scène, on court se réfugier dans les envolées sombres et chamaniques de Swans. Le concert est déjà commencé, le leader Michael Gira est en train de psalmodier sur fond de drones et de distorsions, et quelques spectateurs fuient les décibels assourdissants. Ce soir, les musiciens délaissent tous leurs titres mélodieux pour se concentrer sur des incantations d’une noirceur sans égale (y compris une superbe version de The Knot) ; et le résultat est d’une puissance stupéfiante. Une large partie du public semble ne pas trop savoir ce à quoi elle est en train d’assister, et les auditeurs se divisent en deux camps : ceux qui se laissent porter par les incantations soniques du groupe, et ceux qui fuient la scène en se bouchant les oreilles. Une chose est certaine, tous se souviendront de ce moment passé en compagnie du groupe américain qui, comme d’ordinaire, aura poussé ses spectateurs à dépasser les limites de leur propre conscience.
La soirée se conclue sur des notes moins graves, avec une très chouette prestation du groupe de post-punk Operators, mené par Dan Boeckner (la tête pensante des Handsome Furs) et un live supersonique de Flying Lotus, caché derrière des vidéos psychés. Et puis vient le temps de l’éternel retour ; en attendant un samedi qui devrait se placer sous le signe du rock indépendant.
XR
C’est un fragment non négligeable de l’histoire de la musique américaine qui jouait hier, en début d’après-midi, sur la scène Primavera. Slim Cessna’s Auto Club et cette gueule cassée de Jay Munly, membres émérites du club fermé du son de Denver, ont multiplié les positions suggestives et craché au visage du public un folk rock crasseux de cul-terreux du midwest. L’occasion de rappeler ici que si le festival catalan n’est pas toujours à la pointe du défrichage, il fait néanmoins un important travail de documentation, en programmant les représentants les plus significatifs des courants musicaux qui ont marqué les époques depuis le premier riff de Chuck Berry.
#UnexpectedPrimavera
La preuve encore hier, quand, entre deux diatribes sur Jésus proférées par Munly, on reçoit une notification indiquant que Mogwai, qui n’était pas programmé cette année, jouera à 20h, pour présenter en avant-première mondiale son nouvel album. Comme la veille avec Arcade Fire, c’est sous le hashtag #UnexpectedPrimavera, lâché sur Twitter, que le festival annonce son line-up surprise. Sur les coups de 19h45, on délaisse donc le showcase de Weyes Blood à la Maison Mango, pour rejoindre la scène Bacardi. Les Ecossais sont visiblement hyper attendus et jouent l’intégralité de Every Country’s Sun, qui devrait sortir le 1er septembre. Mogwai a ainsi fait du Mogwai, convoquant à l’infini motifs synthétiques et mélodies surannées perdues quelque part entre deux temps ; à tel point que chacun de leurs albums devraient porter le sous-titre Music For a Forgotten Future.
Just arrived in Barcelona pic.twitter.com/YFnF9v9vnz
— Mogwai (@mogwaiband) 2 juin 2017
En parlant d’Ecosse et de mélancolie, Arab Strap a joué hier. Après le décès soudain de Kevin Garcia au début du mois de mai, Granddaddy a annulé sa grande tournée des festivals et a été remplacé ici, à Primavera, par Aidan Moffat et Malcolm Middleton. Le début du concert est marqué par le son des cornemuses de l’intro de Loch Leven, brandi comme un doigt d’honneur à Nigel Farage, tandis que la suite pourrait se résumer à ce passage de The Shy Retirer : « I want to fall in love tonight / And form the perfect unbreakable bond… » « Je veux tomber amoureux ce soir soir / et créer un lien parfait et incassable ». Moffat et Middleton ont ainsi joué très fort, faisant résonner les caissons de basse dans nos poitrines, sur une scène jouxtant le crépuscule du monde.
Ian Svenonius, Jésus Christ superstar
Juste avant Arab Strap, on a croisé Descendents, pionniers parmi les pionniers du punk-rock californiens, devant une foule arborant t-shirt Black Flag et autres signes ostentatoires de ralliement à la cause de la bande de Bill Stevenson et Milo Aukerman. Un peu plus tard, tandis que le son du concert de Swans se fait entendre d’un bout à l’autre du Parc du Forum, on a vu la Vierge. Ou plutôt l’Antéchrist, voire même carrément le Christ en personne. Le matin même, dans le quotidien catalan La Vanguardia, Ian Svenonius, leader incandescent de The Make-Up, fanfaronnait sur l’underground, arguant en être le dépositaire, et fustigeant la totalité de la scène indie-rock en la qualifiant de conservatrice.
Sous les regards de Kevin Morby et Alexis Taylor (Hot Chip / This Is Not This Heat), Svenonius a tout mis en oeuvre hier soir pour justifier ses outrances verbales, transformant un créneau horaire dans un line-up millimétré en véritable prêche rock’n’roll. Toujours sur la brèche, micro enfoncé au fond de la gorge et marchant sur le public comme Jésus sur l’eau, il a expié nos péchés et redonné au rock sa dimension cosmique.
C’était comme naître à nouveau.
FM
{"type":"Banniere-Basse"}