Sous le givre, la jungle de Photek est vivante : un labyrinthe aussi savant qu’effrayant où on n’entre pas en chaussons. On pensait ne jamais y arriver. Ne jamais parvenir à fréquenter ces paysages lunaires et ces aurores boréales sans arrière-pensée. Ne jamais en percer le mystère, certains de ne croiser dans ces terres vierges […]
Sous le givre, la jungle de Photek est vivante : un labyrinthe aussi savant qu’effrayant où on n’entre pas en chaussons.
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On pensait ne jamais y arriver. Ne jamais parvenir à fréquenter ces paysages lunaires et ces aurores boréales sans arrière-pensée. Ne jamais en percer le mystère, certains de ne croiser dans ces terres vierges et glacées que le reflet de notre propre conscience. Aborder la jungle avec Photek ressemble à l’ascension de l’Everest par sa face la plus ardue, la plus givrée : on ne s’y rend pas en babouches mais équipé d’un moral d’acier et d’une patience infinie. A repousser toujours plus loin les limites de l’étrange et du tolérable, Photek pousse aussi l’auditeur dans ses derniers retranchements : on peut choisir de tourner les talons, y laisser la raison ou résolument forcer si besoin au pied-de-biche son univers infiniment personnel. Au sommet, un graal insoupçonné attend le vaillant grimpeur : les plaines sidérales ne sont plus ni arides, ni désertes, ni hantées, mais habitées d’une vertigineuse beauté. « J’aime créer des atmosphères et des climats en faisant la musique la plus inatmosphérique possible. L’absence de feeling devient en quelque sorte le feeling », explique le jeune prodige.
A l’instar de ses héros Miles Davis, Derrick May (techno de Detroit) ou Roy Ayers (inclassable funkster), Rupert Parkes, 25 ans, a placé la progression au coeur de son mobile créatif. Du hip-hop, dont il est aussi un fervent adepte, provient son goût du contraste entre sons léchés et sons rugueux qui intriguent ici. Phénomène à part dans la jungle, ce musicien et non pas DJ méprise la paresse et s’efforce de développer des sons et des rythmes par lui-même plutôt que de les emprunter à d’autres. Il travaille à l’épure et peut passer des mois sur chaque titre, écoutant ses boucles des centaines de fois pour les délester du moindre soupçon de facilité car, explique-t-il, « plus un son est évident, plus il s’use rapidement ». Plus proche d’une discipline spirituelle que d’un art chirurgical, ce processus conduit à un style ascétique d’une effroyable pureté sonore, mais il ne gâche pas l’essentiel : cette musique est vivante, cette musique possède une âme et vibre d’une intensité à nulle autre pareille. Les textures sont sa grande spécialité : elles se chevauchent, s’enlacent et se délacent mais ne se ressemblent pas. Ce peut être le chuintement de la pluie ou d’une acierie, la rumeur de la ville ou le souffle d’un couloir de métro, une esquisse de rumba ou le déclic d’un chargeur automatique, tous ces petits détails obsédants dont l’écho résonne encore longtemps après que le disque est terminé. A mesure que ses savantes recherches sonores éloignent la jungle des dance-floors, Photek hisse le genre à maturité. Mais plus sa science du rythme gagne en rigueur et en complexité, plus Rupert Parkes se voit taxé d’arrogance intellectuelle. La rançon du génie est souvent à ce prix.
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