Trois ans après le liminal et brûlant “Body Negative”, MNNQNS rapplique avec “The Second Principle”, un deuxième disque polymorphe où se croisent riffs acérés et digressions psyché. Rencontre avec la bande de Rouen.
Un groupe aux consonnes martelées en majuscules donne forcément l’impression de recevoir un coup de poing. En 2019, MNNQNS se pointe avec Body Negative, un premier disque explosif à allumage progressif, du genre à vouloir tout balayer d’un revers de la main en se laissant toutefois une certaine latitude créative. Dépouillé des fantasmes de rockstar, le quatuor de Rouen vient de sortir The Second Principle, un deuxième album incantatoire s’affichant autant comme une épopée intergalactique qu’un laboratoire sous perfusion électrique et ambient.
De Brian Eno aux Beach Boys, en passant par les tubes des années 1980, l’apport des synthés et l’importance des voix ou encore leur façon de concocter des chansons reliant des aspirations opposées, les fines gâchettes de la scène rouennaise reviennent sur la genèse de The Second Principle. Rencontre.
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Vous venez de sortir votre second album. Comment vous sentez-vous ?
Adrian d’Epinay (chant, guitare) – C’est vrai qu’il sort là, j’avais pas réalisé !
Grégoire Mainot (batterie) – On est en pleine tournée donc on n’a pas l’impression d’être si proche d’une sortie d’album. En tout cas, je suis assez serein car je l’aime bien, ce nouveau disque. L’organisation de la sortie est bien moins pénible que pour le premier. Body Negative a mis près d’un an à sortir. C’était si long. Là, c’est un flot tranquille. C’est drôle, on n’en a jamais parlé entre nous. T’en penses quoi, Adri ?
Adrian d’Epinay – Je suis totalement d’accord. Il y a même une sorte de fluidité en matière d’écriture et de son. On a trouvé une certaine cohésion en se recentrant sur ce que l’on préfère dans la musique et sur des outils qui nous parlent. The Second Principle nous ressemble plus que Body Negative.
Êtes-vous partis sur l’idée de faire un album concept plutôt qu’une collection de singles ?
Grégoire Mainot – On n’est pas très familier des termes d’“album concept”. Comme on a toujours été très attaché aux surprises, on voulait sortir de l’enchaînement classique de chansons. Par exemple, le fait d’amener des transitions dans l’album fait éclater les formats standards de la pop. Ça apporte une narration au fil du disque qui n’est pas forcément là au sein des morceaux. Dans nos textes, on évite les récits narratifs un peu trop simples.
Justement, vos nouveaux morceaux sont très indépendants les uns des autres. Comment assemblez-vous un titre comme Eye of God, qui répond au format standard de 3 min 30, à une chanson comme Pacific Trash Patch, qui s’étale sur plus de cinq minutes ?
Adrian d’Epinay – Sur The Second Principle, le fait d’utiliser de nouveaux outils comme les synthétiseurs analogiques ou modulaires nous a apporté de nouvelles façons de travailler. Par exemple, avec un séquenceur de synthé, tu vas créer une boucle que tu vas faire jouer de plusieurs manières. Ça te fait immédiatement sortir du schéma classique couplet/refrain.
C’est ce qui vous a emmené vers des transitions ambient comme Pyramid ?
Adrian d’Epinay – Complètement. En parlant d’ambient, on est dingue de Brian Eno. Aussi bien de ce qu’il a fait seul que de ce qu’il a fait avec Roxy Music ou pour d’autres comme David Bowie et sa trilogie berlinoise. Low et Heroes sont des albums qu’on a saignés à fond. L’ambient nous parle vraiment mais c’est difficile de l’amener dans un groupe comme MNNNQS qui, à la base, est catalogué rock. C’est là que réside toute la force des synthés, car ils nous permettent d’apporter une touche d’ambient sans complètement changer notre fusil d’épaule.
Grégoire Mainot – On a vraiment changé de méthode de travail. Avant, on partait de nos démos et on surenchérissait en incluant toutes nos idées. Parfois, on adorait tellement une idée qu’on refaisait carrément tout le morceau pour réussir à la caser. Aujourd’hui, on ne travaille plus comme ça. Par exemple, sur le nouvel album, le gimmick principal de Eyes of God était repris par des cloches, une guitare, des claviers, des clavecins et plein de trucs qui faisaient la même chose. Après avoir testé ces sonorités, on a élagué au maximum pour le faire sonner le plus simplement possible. C’est très salvateur de réduire un morceau à l’essentiel.
À l’inverse, Body Negative paraît plus engourdi.
Grégoire Mainot – Ça m’arrive très rarement de réécouter Body Negative mais quand ça arrive, oui, je vois vraiment la différence. On est toujours content de notre premier album mais, sur certains morceaux, on n’avait pas exactement atteint ce qu’on cherchait. Avec The Second Principle, on l’a trouvé.
On entend des chorales sur une bonne partie de l’album, que ce soit sur le prélude The Great Scheme of Things ou sur All Jokes Aside. D’où vient cette nouvelle passion pour les chœurs ?
Grégoire Mainot – Des Beach Boys !
Adrian d’Epinay – Carrément ! La voix est un outil formidable. Contrairement aux autres instruments, elle ne vieillit pas trop. Certains types de chants sont associés à des décennies mais, globalement, le médium vocal reste intemporel. En fait, on cherche de plus en plus à travailler la texture des voix. Tu as l’habitude d’entendre des traitements de son sur les guitares, les synthés, les batteries mais les voix sont souvent considérées comme un élément à part de l’instrumental alors qu’elles peuvent aussi être accordées ou distordues. Les voix offrent une grande liberté.
Adrian, ta voix dégage autant un côté cold wave qu’une aura chaleureuse. Est-ce nécessaire pour toi de changer de ton selon les chansons ?
Adrian d’Epinay – On en a pas mal parlé avec les gars car, sur notre premier album, on voulait écrire des morceaux pour les éclater avec du bruit. Là, on est parti sur l’idée que chaque morceau a sa propre esthétique, ses propres arrangements et son propre monde. Le fait d’adapter la voix à ces nouveaux titres aide à compléter ces petits univers, qu’ils durent trois ou huit minutes. Pour nous, c’est aussi important de modeler un morceau avec la voix qu’avec une guitare ou un synthé.
Certains enchaînements sont surprenants. Par exemple, on passe des inspirations Smiths de Massive Clouds Ahead à l’énergie punk de Ultraviolent Ultraviolet. Pourquoi ce grand écart ?
Grégoire Mainot – On a toujours été comme ça. Quand on compose de la musique, on est obligé de partir de nos influences. Qu’on parvienne à s’en détacher ou pas, les influences sont là. Dans MNNQNS, on a la chance d’avoir les mêmes mais, surtout, elles sont extrêmes. On est autant inspiré par -M- que par Meshuggah !
Adrian d’Epinay – Allez, il l’a dit ! (Rires.)
Grégoire Mainot – Je déconne. On adore Brian Eno, Steve Reich, John Cage. Je suis pas sûr que tous les mecs qui ont commencé par The Strokes et Nirvana passent par là. Nous, dans nos influences, on ne se met aucune barrière. N’importe quoi peut nous toucher et, surtout, ça devient obsessionnel. Dans le van, on est capable d’écouter en boucle un morceau qu’on aime tous au même moment. Genre cinquante fois de suite. Forcément, ça se ressent dans MNNQNS. Mais comment faire pour être en accord avec nous-mêmes ? C’est-à-dire pondre une chanson qui ne traduit pas ce il-fallait-absolument-que-ça-sorte-de-moi parce que j’adore The Smiths en ce moment. On évite ça en digérant nos influences, même si elles sont diverses sur Massive Clouds Ahead et Ultraviolent Ultraviolet.
On vous a souvent qualifié de groupe de rock, mais c’est assez réducteur.
Grégoire Mainot – Complètement. En plus, on passe notre temps à se foutre de la gueule du rock ! Enfin, on se moque surtout de la symbolique du rock. Le cuir, le gros son…
Les grosses motos…
Grégoire Mainot – Ah oui, les motos ! Le fuzz, aussi. C’est un peu un crève-cœur car la sphère rock, c’est beaucoup plus que ça. Les motos et le cuir sont des choses dont on se fout allègrement car c’est un peu laid et ça a mal vieilli. En revanche, chez Brian Eno, il y a un truc très rock qu’on adore. J’aime beaucoup aussi les groupes de dance punk des années 2000 comme !!! ou LCD Soundsystem. La démarche est punk et brute mais les mecs font des morceaux pour danser. Avec MNNQNS aussi, on cherche à associer des idées opposées. D’ailleurs, je pense souvent à My Cosmic Autumn Rebellion des Flaming Lips. C’est un gros slow de lover sauf que tout est dans le rouge. Les synthés sont dégueulasses comme pas possible, c’est chimique et agressif ! Mais le mec déclare sincèrement sa flamme. Nous, au départ, on voulait faire des morceaux pop et tout saloper. Maintenant, on prend un virage dans lequel on assemble différentes mélodies au sein d’un même morceau.
Vous avez toujours revendiqué Body Negative comme un album plus pop que rock. Entretenez-vous encore un rapport aux pop songs sur The Second Principle ?
Adrian d’Epinay – Oui ! En matière d’écriture et de composition, notre second album est peut-être même plus pop que le premier. Il est plus mélodique.
Grégoire Mainot – Les guitares qui font des pentatoniques, j’en peux plus. Je comprends qu’on puisse aimer et j’ai eu ma période. Mais désormais, ce qui m’intéresse, c’est un morceau comme Ultraviolent Ultraviolet où tu as l’impression d’entendre deux chansons en même temps. Pas l’une après l’autre mais deux pistes superposées. Un groupe de rock qui pond un gros riff, s’arrête pour deux temps et reprend ce riff avec une fuzz, c’est bien, mais réducteur. Ce n’est pas assez pour MNNQNS. Alors on s’est tourné vers la pop. On écoute des gros tubes des années 1980. Leur structure est incroyable.
Ce nouvel album a été majoritairement composé pendant le premier confinement. Est-ce que cette période particulière a impacté sa création ?
Adrian d’Epinay – L’avantage, c’est qu’on avait tous de quoi s’enregistrer les uns les autres, donc on a pu s’envoyer des pistes pour avancer. Niveau timing, le confinement n’est pas si mal tombé pour nous. On achevait la tournée de Body Negative, donc ce n’était pas catastrophique. On s’est juste retrouvé avec du temps pour écrire et repenser ce qu’on voulait faire exactement. En revanche, les confinements successifs ont été insupportables. On voulait retrouver la scène.
C’est toi qui écris toutes les paroles. Comment tu t’y prends ?
Adrian d’Epinay – Avant, j’écrivais une espèce de yaourt vocal qui matchait forcément avec la démo. Ça donne une ligne mélodique très forte car le texte sert la musique. Mais c’était hyper long. J’ai donc tenté l’inverse : écrire des textes sans musique. J’écris au fur et à mesure. Je ne me cantonne pas à un thème. La plupart du temps, une certaine cohésion s’installe naturellement. À la suite de ça, on travaille sur des démos. J’essaie de placer mes textes et de créer des lignes de chant. On a renouvelé tout notre schéma d’écriture.
Ensuite, vous avez tout enregistré vous-mêmes dans votre studio rouennais.
Adrian d’Epinay – C’est ça. On a choisi de nouveaux instruments pour la scène, comme des synthés ou des pédales d’effets. On a traduit nos démos en version live, ce qui nous a permis de nous concentrer sur l’essentiel au moment d’enregistrer. On a tout produit nous-mêmes aux côtés de Robin, notre ingé son. Puis, il a été mixé par Jolyon Thomas, qui bosse notamment avec The Horrors et Slaves.
Sachant que The Second Principle a été autoproduit, quelle importance accordez-vous au fait d’être indépendants ?
Adrian d’Epinay – La boîte de notre manager, Yalta, fait également office de label puisqu’elle a avancé les coûts de production. Et pour organiser les tournées, on travaille avec Ensemble Concerts et Cold Fame. Il y a tout un fantasme autour de l’underground mais l’indépendance nous apporte surtout une facilité de travail. Sans grosses machines et grosses boîtes autour de nous, on avance plus vite. Pas besoin d’attendre trois ans pour sortir un album déjà enregistré.
Comment s’annonce la suite pour MNNQNS ?
Grégoire Mainot – Venez au Trabendo le 19 mai prochain ! Cette salle est particulièrement importante pour nous. La dernière fois qu’on y a joué, c’était en 2017 ou 2018, en première partie de The Black Lips. C’est désormais notre date. On part aussi au Canada en septembre. Il y a quelques projets d’écriture et de vidéos sur le feu. J’ai hâte de voir ce qu’on va faire après tout ça. On a déjà des idées. J’ai confiance en ce que l’on fait.
Propos recueillis par Juliette Poulain.
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