Compositeur de légendaires musiques de films (Bullitt, Mission impossible, Dirty Harry), l’honorable Lalo Schifrin revient en grande pompe pour un concert parisien, entre jazz et musique classique.
Boris Claudio Schifrin, dit Lalo, est une icône anonyme et sans visage. Si tout le monde connaît le thème de Mission Impossible, recyclé et retraité par de nombreux DJ’s, peu y associent le nom du compositeur argentin. Certaines de ses musiques vont même jusqu’à jouir du privilège d’éclipser en notoriété les films qu’elles illustrent. Comme The Fox réalisé par Mark Rydell en 1968 dont le thème une fois accéléré a servi pour la pub des collants Dim.
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Avec un charme qu’on imagine exclusif aux natifs du Buenos Aires de sa génération, lettré, cosmopolite et polyglotte, Schifrin affiche à 76 ans une humilité des plus flegmatiques pour évoquer sa longue carrière de musicien de cinéma. « Je ne suis qu’un faiseur de musique » s’excuserait presque celui que la Société Américaine des Compositeurs de Film a distingué lors d’une cérémonie où Toru Takemitsu, Ennio Morricone, John Williams Jerry Goldsmith, Miklos Roja et Elmer Bernstein furent aussi récompensés.
« J’étais fier mais aussi un peu bouleversé de me retrouver en compagnie de tels maîtres. Quand j’ai écrit mes musiques, je n’imaginais qu’elle me vaudrait un jour pareils honneurs. Je ne les ai pas composées dans ce but en tout cas » concède dans un français à l’accent borgésien celui qui passa par le Conservatoire de Paris au début des années 50. « J’y apprenais la musique concrète avec Pierre Henry et fréquentais le Domaine du Concert Musical. Là, j’ai connu Olivier Messiaen qui, avec Dizzy Gillespie, reste ma plus grande influence. On peut dire que ma musique est le fruit d’un croisement entre ces deux sources d’inspiration ».
Heureux hasard, à son retour à Buenos Aires, Schifrin rencontre Gillespie, dont il devient directeur musical, signant une œuvre parmi les plus ambitieuses du trompettiste, Gillespiana. « J’ai beaucoup tourné avec Dizzy. Je me souviens que j’étais très intimidé par ses deux pianistes, assis l’un à côté de l’autre dans le bus qui nous emmenait de ville en ville, et aussi silencieux que des sphinx : Bud Powell et Thelonious Monk. »
Son arrivée à Hollywood en 63 coïncide avec le lancement de deux séries télévisées d’un genre nouveau: Mission Impossible et Mannix. L’ impact de leurs thèmes ouvre à Schifrin la porte des studios, ceux de la Warner notamment pour qui il écrit et orchestre les « scores » de Bullitt, The Getaway, Dirty Harry et Opération Dragon. La célèbre poursuite en voiture de Bullitt lui inspirera ce tour de force, Shifting Gears, où comment le génie de l’oreille, mis au service de l’œil, suscite cette tension particulière appelée suspens. Avec lui, d’accessoire, la musique du film d’action devient un genre d’élection où tous les langages sont compatibles entre eux, le jazz servant de fixateur. « Mes musiques ne sont jamais du jazz. J’utilise le langage du jazz mais pas ses développements. C’est là où mon intérêt pour la peinture m’a beaucoup aidé. Le tableau est d’abord défini par le cadre. La musique de film doit d’abord se soumettre à cette contrainte du cadre. C’est le premier paramètre dont il faut tenir compte, et le premier défi à relever, et j’aime ce défi. »
Parmi ses derniers défis, il imagine en 1995 une rencontre entre Charlie Parker et Igor Stravinski dans une suite, Firebird, inscrite au répertoire du concert que Schifrin donnera le 13 Septembre à Paris au festival Jazz à la Villette, accompagné pour l’occasion par un quatuor de jazz et par l’Orchestre National d’Ile de France. « Je l’ai écrite d’après une séquence du biopic sur la vie de Charlie Parker, Bird, réalisé par Clint Eastwood. Celle où le saxophoniste passe devant la maison new yorkaise du maître russe, compositeur de l’Oiseau de Feu, sans oser aller à sa rencontre. J’ai essayé d’imaginer ce qu’aurait pu donner une collaboration entre deux des plus grands musiciens du 20è siècle, une sorte de choc de titans. »
D’autres séquences du concert viendront saluer les œuvres de Thelonious Monk, Louis Armstrong et Dizzy Gillespie, Firebird se distinguant du lot par une prise de risque plus importante. Peut-être que pour tout autre que Lalo Schifrin, l’exercice aurait même été considéré comme mission impossible.
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