Les reflets du prisme. Oeuvre méconnue, Miroirs de Ravel réfléchit tout le piano du xxème siècle sous les doigts inspirés d’Alain Neveux. Piano Les Miroirs de Maurice Ravel (1905), suivis du triptyque Gaspard de la nuit composé trois ans plus tard, s’inscrivent dans le cadre restreint, mais d’une qualité exceptionnelle, des pièces de piano composées […]
Les reflets du prisme. Oeuvre méconnue, Miroirs de Ravel réfléchit tout le piano du xxème siècle sous les doigts inspirés d’Alain Neveux.
Piano Les Miroirs de Maurice Ravel (1905), suivis du triptyque Gaspard de la nuit composé trois ans plus tard, s’inscrivent dans le cadre restreint, mais d’une qualité exceptionnelle, des pièces de piano composées au début du xxème siècle, qui rassemble également Satie, Debussy, Janacek, Ives, Bartók ou Prokofiev. Exigeant, Ravel cherche à surprendre et à étonner ; il notera plus tard dans son Esquisse biographique (1928) : « Les Miroirs marquent dans mon évolution harmonique un changement assez considérable pour avoir décontenancé les musiciens les plus accoutumés jusqu’alors à ma manière. »
Effectivement, ce recueil de quatre pièces débute par un vol déconcertant de Noctuelles, au crépuscule. Hagard, le piano bascule, sursaute et jette de grands coups d’aile. Dans un éclat de lumière, il se ressaisit et disparaît dans un flou harmonique. La gorge se noue avec la seconde pièce, Oiseaux tristes. Au lieu de redescendre, la tension se fige sous la forme d’une plainte dissonante, où sont évoqués « des oiseaux perdus dans la torpeur d’une forêt très sombre aux heures les plus chaudes de l’été ». Mais comme toujours chez Ravel, les nuages sombres qui obscurcissent sa musique sont toujours chassés par une bourrasque d’où jaillit une lumière aveuglante ; c’est celle d’Une Barque sur l’océan, la troisième pièce. Ravel nous emporte sur l’écume d’un océan qui n’a rien de placide, où l’auditeur est tiré par une vague puissante puis déséquilibré par le va-et-vient des notes qui ruissellent, pour être finalement giflé par les basses du piano, qui cognent et cognent encore. Ces Miroirs d’une brutalité vivifiante se terminent, avec humour, sur le panache, trop candide pour être honnête, de l’Alborada del gracioso, une danse bouffonne et tragique d’une crudité quasi expressionniste.
En élève accompli de Vlado Perlemuter (qui joua devant Ravel l’ensemble de ses pièces de piano), Alain Neveux livre ici une interprétation remarquable ; il joue cette musique avec un regard neuf et une agilité extrême, à travers le prisme du piano du xxème siècle qu’il a pratiqué pendant dix ans comme soliste de l’Intercontemporain sous la direction de Pierre Boulez. Nouveau label à prix modique, Pianovox propose également dans la foulée d’excellents enregistrements de piano d’Ives par Jay Gottlieb, de Crumb par Ursula Kneiths, de Britten par Haridas Greif, de Prokofiev par Daniel Isoir ou encore de Pierné par Jean-Paul Sévilla.
Ravel Miroirs ; A la manière de Borodine ; A la manière de Chabrier - piano Alain Neveux (Pianovox/Sony Music)