Disparue hier, la Sud-Africaine et anglaise d’adoption Chantal Passamonte a été une incroyable source d’émotions artistiques, entre techno et classique, travaux de commande et installations sonores.
“J’ai toujours pratiqué le collage mais c’est peut-être seulement maintenant que je comprends, ce que je coupe ce sont des fragments de moi-même.” C’est ainsi que Mira Calix, de son vrai nom Chantal Passamonte, présentait sa dernière œuvre musicale, absent origin, aussi inclassable que ses précédents albums, énième preuve que cette artiste electronica autodidacte possédait une voix unique.
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S’y croisaient sonorités concrètes, échos du Brexit, chants de révolte et rap dans un ensemble étourdissant et politique qui touchait le cœur et la tête. Hélas, Mira Calix ne nous surprendra plus par ses projets transversaux : lundi 28 mars, en fin de journée, le label Warp avec qui elle aura été liée pendant deux décennies a annoncé son décès, sans qu’on en sache plus sur les raisons de sa disparition. Elle avait 52 ans.
Née en 1970 à Durban de parents britannique et italien, Chantal grandit en Afrique du Sud alors que celle-ci n’a pas encore aboli la ségrégation raciale et célébré la fin de l’apartheid. Mais la nounou zouloue à qui elle est souvent confiée lui apprend le sens de la justice et, adolescente, elle participe à ses premières manifestations. À 17 ans, elle suit ses parents à Londres et, très vite, s’y sent comme à la maison. Elle en profite pour se jeter dans un grand bain de culture. Alors que, dans son pays natal, les concerts et expositions étaient rares, les disques difficiles à trouver et les livres chers, en Angleterre, tout est à portée de main – ou presque. “Quand je suis arrivée à Londres, j’étais comme une enfant à la fois émerveillée et perdue dans les rayons d’un grand magasin. Si bien que j’ai vécu une adolescence prolongée : je ne faisais que sortir, découvrir.” Curieuse, elle écoute et lit avec avidité, sort constamment et se construit une culture plutôt indie avec dans ses premiers coups de cœur, The Sundays, Prince, This Mortal Coil, Suicide, Brian Eno ou OMD. De ses premières amours musicales, elle gardera un goût pour les mélodies chaudes mais aussi pour l’expérimentation sèche, une sensibilité qui l’amènera plus tard à utiliser sa guitare dans un contexte électronique.
De manière naturelle, elle se rapproche de sa passion, travaillant dans un magasin de disques, donnant ses premiers sets de DJ. Elle intègre même la maison de disques 4AD (celle des Cocteau Twins ou des Pixies), où elle travaille comme attachée de presse avant de passer chez Warp. Là, s’opère en elle une transformation, un passage à l’acte fondateur. Alors qu’elle fréquente des artistes comme Plaid, Squarepusher ou Aphex Twin, elle se met en parallèle à imaginer ses premières compositions avec le matériel qu’on lui prête. “Rien n’était planifié, je ne songeais pas à la musique comme à un métier. Les artistes de Warp sont parfois devenus des amis, ils m’ont encouragée, ils croyaient en moi.” En 1997, elle quitte son job pour changer de casquette. Trois ans plus tard, elle revient chez Warp par la grande porte, y publiant son premier album, le radical One on One, où elle manie les sons comme si elle domptait le chaos de la vie, se baladant entre electro pop avant-gardiste et bourrasques expérimentales.
L’accueil très chaleureux qui lui est réservé lui vaut de tourner avec Radiohead à la sortie de Kid A. Mais, à la sortie de son deuxième LP, Skimskitta, elle s’apprête déjà à intenter sa révolution créative. Son chemin ne sera pas celui, plus classique, d’une artiste soumise au rythme binaire – studio, tournée et on recommence. Non, Mira Calix choisit d’emprunter une voie plus vaste et ambitieuse, désirant embrasser le monde dans lequel elle vit grâce à ses créations. En 2002, à la demande de Muséum d’Histoire Naturelle de la Ville de Genève, elle compose NuNu une pièce qu’elle joue avec l’orchestre du London Sinfonietta et aussi la participation de scarabées, cafards et grillons, produisant, grâce à un système d’amplification, des sortes de drones organiques. Art contemporain, musique néo-classique, electro expérimental, spectacle de danse ? Au fil des projets et de son apprentissage express de la musique dite savante, les frontières s’estompent pour Mira Calix qui multiplie les projets et les collaborations, passant de Shakespeare aux Boards of Canada. Sous l’influence de Cage ou Stravinsky, elle crée des installations où l’espace et le son trouvent de nouveaux terrains d’entente avec toujours le besoin de parler à plusieurs sens pour mieux alerter ou émouvoir.
Dans une conférence Ted de 2013, elle expliquera ainsi comment, grâce aux sons produits par la technologie, elle pouvait susciter tout un spectre d’émotions. Au moment des Jeux Olympiques de Londres, elle propose une expérience sensorielle folle avec la sculpture sonore de Nothing Is Set In Stone située en pleine nature et constituée de roches émettant des mélodies. Pour l’occasion, elle a enregistré des chants sud-africains à Johannesburg. Elle qui habitait ces dernières années dans un cottage du Suffolk pour mieux profiter du ciel bouclera en 2021 sa discographie avec absent origin, un collage géant de plein de ses travaux de commande et de compositions éparses qui n’oubliait pas de refléter les remous du Brexit. Jusqu’au bout, elle aura mis du sens et des tripes dans ses projets.
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